ÉNERVÉ

Par: (pas credité)


Il paraît qu’aux Pays-Bas vont se mettre en place des brigades anti-énervement, dernière nouveauté de leur police de la route. Je ne sais pas dire ça en néerlandais, mais nul doute que ce système pourrait être utile en France. « Enervement », c’est-à-dire ?

Etre « énervé », tout le monde sait bien ce que c’est. Et tout le monde sait bien que ça s’oppose à calme, tranquille. On a des synonymes, qui expriment des degrés différents : on peut être « agacé » - le sens serait plutôt plus faible, et la manière de parler, plus relevée. Quand l’agacement est plus fort, on est alors « excédé », ou « exaspéré », et on a alors l’idée d’une irritation insupportable, en tout cas dont on ne saurait contenir la manifestation. En tout cas, tous ces mots appartiennent à un registre de langue relativement surveillé, alors qu’énervé donne une impression plus familière.

Cette idée d’impatience et de légère contrariété qui domine dans le mot énervé est plus ou moins absente dans certains mots de la même famille. Avec « nerveux » et parfois « hypernerveux », on se situe davantage dans un état permanent que dans une humeur de circonstance. Ces termes oscillent entre le psychologique et le physiologique, et attestent bien l’influence de l’un sur l’autre. Pourtant tout ce vocabulaire se situe résolument en dehors de la terminologie psychologique, à teinture psychanalytique - en deux mots en dehors du « jargon psy ».

Et le mot de « nerf » est à l’origine de tout un tas d’expressions qui appartiennent à la psychologie de tous les jours ; « sur les nerfs », « à bout de nerfs », « Tatie a ses nerfs » ce qui traduit une irritabilité due à la fatigue, à l’usure ; et aussi « taper sur les nerfs », « passer ses nerfs », etc.

Mais le plus étonnant, avec cette famille de mots, c’est qu’elle a démarré sa carrière avec un sens radicalement opposé à ses fonctions actuelles.

Le « nerf » d’abord n’était pas du tout ce très fin cordon qui transmet l’influx nerveux. Cela voulait dire tout simplement « ligament », « tendon », on n’était pas loin du « muscle », ce qui explique l’association fréquente du nerf et de la force, de l’énergie : « allons, du nerf ! ». Cf aussi le « nerf de la guerre », c’est-à-dire l’argent, une image qui dérive de cette signification.

Mais si l’on remonte encore plus loin dans le temps, on se rend compte que le premier sens d’« énervé » était simplement « privé de nerf », « sans force », « alangui ». Au XIXè siècle encore, Emile Littré pouvait dire : « Les voluptés énervent ».