ECU
Par: (pas credité)
On ne va pas encore payer son camembert en euro (ces deux notions
d'ailleurs ne sont-elles pas radicalement antinomiques ?), mais avec
l'ouverture de la Conférence des gouvernements sur la nouvelle monnaie
européenne, l'euro commence à devenir un tout petit peu plus concret. En
tout cas, une chose est sûre : il a enterré l'écu. Trois minutes pour
chanter le De profundis de celui-là.
Ce vocable est proposé par Giscard d'Estaing pour servir d'unité monétaire
européenne. C'est d'ailleurs le sens de l'acronyme : European Currancy
Unit, qui devait s'écrire en majuscules. Plusieurs qualités, donc c'est
le nom d'une ancienne monnaie (française - mais justement, son graphisme
en capitales devait se démarquer de ce passé). C'est un sigle qui se
développe en anglais. Conclusion : une référence franco-anglaise forte :
aucune référence à l'Allemagne.
Est-ce pour cela que l'Allemagne, en particulier, a voulu que l'Europe
éliminât le terme ? Vraisemblablement, ça a compté. Dans un récent article,
bien documenté, Jean Quatremer, de Libération, explique que Köhl, lors
d'une réunion du Conseil de l'Europe à Madrid, le 15 décembre 1995, avait
mis en avant deux arguments pour se débarrasser de l'appellation ECU : il
renvoyait à une monnaie dévaluée, mais surtout, il sonnait mal en allemand,
trop proche de Die Küh = la vache, ce qui aurait pu prêter au calembour -
argument difficile à prendre totalement au sérieux, vu qu'en français, le
calembour est autrement facile, pour ainsi dire inévitable. D'où vient le
mot ? Du latin scutum qui veut dire, (comme écu) en ancien français,
bouclier. Le bouclier portant souvent les armes de son possesseur, le sens
s'étend : un écu devient un blason, un emblème. On finit par frapper une
monnaie qui porte sur l'une de ses faces l'image de l'écu de France. Il
n'en faut pas plus pour que la pièce prenne ce nom d'écu, qui devient une
monnaie courante.
A partir de là, le mot donne naissance à de nombreuses expressions, toutes
sorties d'usage : (la même expression est encore utilisée, mais avec le mot
sou). Avec des écus moisis = être riche et avare. Cela ne lui fait pas
plus peur qu'un écu à un avocat (qui fait allusion à la cupidité
proverbiale des gens de robe). Ces expressions sont éclairantes : un écu
représente une somme non négligeable, et on le trouve dans des expressions
qui évoquent la richesse, alors qu'en général liard et sou qui évoquent
trois fois rien, sont mis en relation avec la pauvreté.
Quant à nous autres Européens, il semble que nous soyons partis pour
l'Euro, grosso modo structuré comme le franc : l'euro est à l'Euro-pe, ce
qui le franc est à la Fran-ce.
Deux autres mots avaient été proposés et rejetés : ducats et florins. Leur
rejet était prévisible : ce sont déjà des noms d'anciennes monnaies, ce qui
leur enlevait un peu de virginité. Le ducat s'est illustré à Venise (ducat
= monnaie ducale). Et le florin est aujourd'hui le nom de la monnaie des
Pays-Bas ; en tout cas c'est comme cela qu'on l'appelle en français, même
si là-bas, elle s'appelle gulden, et que son origine est à Florence.