NARCOTRAFIQUANT

Par: (pas credité)


On juge actuellement Jorge Manuel de Oliveira Leite, ancien de la police
mondée canadienne, soupçonné d'appartenir à un cartel colombien de trafic
de drogue. Cela fait resurgir cette expression de narcotrafiquant, qu'on a,
par ailleurs, revue dans la presse, il y a quelques jours : "Les
narcotrafiquants ont changé" titrait un quotidien français, en citant les
propos du chef de la police colombienne. Ce narcotrafic est celui de la
drogue. Mais attention, ce mot de narcotrafic qu'on vient d'employer, par
plaisanterie et par dérivation, n'est pas en usage. Par contre,
narcotrafiquant a un sens précis : il s'agit des organisateurs du trafic de
drogue à grande échelle - et le mot ne s'applique qu'aux responsables - en
général entre la Colombie et les pays consommateurs, principalement les
Etats-Unis. Ce commerce illicite est si important qu'il a généré tout un
vocabulaire, en particulier le mot "cartel". Bien sûr, le mot existait
déjà. En français, il renvoie surtout à une association politique
(le "Cartel des gauches"), mais sa signification première était celle
d'association économique qui réunit des entreprises de même nature, presque
toujours dans le but d'établir un monopole de fait. Ici, c'est en fait le
sens qui prévaut avec un premier exemple connu, le Cartel de Medellin
(ville) - l'expression est décalquée de l'espagnol et de l'anglais. Il
semble que le cartel de Medellin ait été démantelé, mais d'autres lui ont
succédé. Et ces cartels nous ramènent à notre mot d'origine :
narcotrafiquant.

Ce terme a été formé à partir d'une autre expression qui utilise narco
comme préfixe : narcodollar, c'est-à-dire dollar gagné grâce au trafic de
drogue. Et ces narcodollars ont eux-mêmes été formés sur le modèle
pétrodollar = dollar gagné grâce au commerce du pétrole (on n'ose ici
parler ouvertement de trafic, dans la mesure où ce commerce est illicite).
En tout cas, ce néologisme apparaît en 1974, au moment du premier choc
pétrolier.

Reste à s'interroger sur cette racine narco- (grecque). Elle désigne la
drogue bien sûr, un sens clairement emprunté à l'anglais mais facilement
compris en français, en particulier à cause de la notoriété du Narcotique
Bureau américain, plus ou moins équivalent à la Brigade des Stupéfiants.
Stupéfiant est d'ailleurs un assez bon équivalent du narcotique américain :
un mot à l'emploi plutôt administratif, et d'origine savante et
pharmacologique.

Le narcotique existe en français, mais il n'a jamais eu explicitement le
sens de drogue. Etymologiquement, il veut dire qui provoque le sommeil,
l'engourdissement. Il a même désigné un poisson dont la décharge électrique
provoque la torpeur de sa proie. Son sens le plus courant évoque donc un
produit qui fait dormir (Fantomas versa dans le verre de la jeune Marquise,
un narcotique puissant), mais il n'est plus guère employé.

Aujourd'hui, on parle plus volontiers de somnifère alors qu'un autre mot,
soporifique, est également assez passé de mode. Son emploi en tant
qu'adjectif résiste encore un peu mais le plus souvent dans un sens figuré
et légèrement ironique : un discours soporifique (= ennuyeux). Voire même
chez les jeunes : "C'est sopo !".