BEURRES

Par: (pas credité)


Le petit beurre, le biscuit est l'orgueil de la ville de Nantes. Notons d'abord
que ce mot est le pluriel irrégulier le plus célèbre du français, grâce à cette
vieille blague de potaches : un "petit beurre", des touilloux. Mais par delà
la fantaisie du calembour, doit-on s'étonner que le petit beurre soit une
mine d'or ? Oui et non, puisque le beurre a toujours entretenu une relation
très équivoque à la richesse, symbolisant tantôt la faiblesse et l'absence,
tantôt l'abondance, la prospérité et le luxe.

Inconsistance du beurre ? Hélas oui, car le beurre fond. Aucune confiance à
avoir dans sa masse, sa densité, sa résistance. "On est rentré là-dedans
comme dans du beurre". Belle et vieillie, une autre expression témoigne de
cette fusibilité : "avoir des mains de beurre" = laisser tout échapper. Et on
s'explique par cette mollesse concrète le peu de cas qu'on fait du beurre :
"compter pour du beurre", c'est ne compter pour rien. Surtout à propos de
quelqu'un dont l'avis, l'intérêt, l'existence même est négligeable. Et moi,
je compte pour du beurre ?

Paradoxe donc, du fait que presque toutes les autres locutions qui font
intervenir cette matière en exaltent le prix : le beurre, c'est le gras du
riche, le signe cossu du bourgeois : "ici, on fait la cuisine au beurre".
Dans cet ordre d'idée, le beurre représente d'abord le petit superflu :
c'est ce qui transforme la tranche en tartine (une tranche de pain/une
tartine de beurre).

Cela commence pourtant de façon assez modeste : "le beurre dans les épinards",
c'est un peu de luxe dans une vie ardue. Et l'expression s'utilise presque
toujours pour désigner un revenu de complément, un "en plus" par rapport
au revenu de base qui permettra de se payer un petit extra. Déclaré ou pas
au percepteur, "le beurre dans les épinards" n'a rien d'illégal. Mais
"l'assiette au beurre" est beaucoup plus louche : expression plutôt désuète
mais parlante, elle évoque une situation qui permet des profits indirects,
pas forcément licites, ni déclarés (commissions, pots-de-vins, avantages
en nature, tout est bon). Souvent liée à la corruption politique,
l'expression est devenue le titre d'un célèbre journal satirique du début
du siècle. (Cf. les radis/radicaux ). En tout cas, on voit bien que le
beurre, c'est la richesse, l'argent.
On comprend donc facilement que "faire son beurre", c'est amasser une fortune
personnelle.