XENOPHOBIE EUROPEENNE

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E. LATTANZIO : L'Union Européenne, l'espace européen, l'amitié
européenne, c'est formidable, mais ... soyons réalistes, c'est
pour demain ...

Y. AMAR : ... Disons pour ce soir !

E. LATTANZIO : En revanche, la liste est longue des traces de
xénophobie européenne dans notre langue !

Y. AMAR : "Payer à l'espagnole", par exemple, qui veut dire payer
avec des coups ...

E. LATTANZIO : ... Ce qui n'est pas un compliment. Et "aller se
faire voir chez les Grecs", c'est insultant également, pour les
Grecs.

Y. AMAR : De même, "être saoul comme un Polonais", "boire en
Suisse", "boire comme un Anglais" ... ça montre bien que les
Français, bien souvent, n'aiment pas ce qui ne leur ressemble pas,
en tout cas se méfient (ou se méfiaient...) des Polonais, des
Suisses et des Anglais. Je suis sûr qu'on trouve la même chose
dans la langue polonaise. C'est humain, et il faut essayer que
cela se cantonne dans des bornes purement linguistiques.

E. LATTANZIO : Mais "travailler pour le roi de Prusse", par
exemple, c'est travailler sans salaire, en se faisant exploiter.
D'où vient l'expression ? C'est embrouillé. Frédéric II, roi de
Prusse, avait, paraît-il, décidé de payer ses soldats 30 jours par
mois, c'est-à-dire 360 jours par an, au lieu de 365.

Y. AMAR : Cette explication est loin d'être parlante, ne serait-ce
que parce que 360 jours de salaire par an, pour un mercenaire du
18ème siècle, ce n'est déjà pas si mal. Autre explication : en
1757, le prince de Soubise se fait battre par les prussiens. Et
une chanson satirique l'a brocardé, en popularisant le refrain :
"il a travaillé pour le roi, pour le roi ... de Prusse".
C'est-à-dire : il a travaillé contre son camp, contre son intérêt.

E. LATTANZIO : Quant à la "querelle d'allemands" c'est une
mauvaise querelle, un mauvais prétexte pour trouver la bagarre et
en découdre. Là aussi, plusieurs pistes étymologiques, dont Alain
Rey dit qu'elles sont pratiquement toutes suspectes. "Allemands"
aurait été le nom d'une famille du Dauphiné, particulièrement
belliqueuse.

Y. AMAR : Ou bien il y aurait un calembour : allemand = à la main.
Une querelle "à la main" serait déjà bien proche des coups. Ce
n'est pas sûr du tout. Mais ça montre bien que dans toutes ces
expressions, la xénophobie est toujours croisée avec une autre
motivation.

E. LATTANZIO : Et l'explication de cette expression est peut-être
à chercher dans les conflits continuels qui opposaient les princes
germaniques au temps du Saint-Empire.

Y. AMAR : Les Anglais n'ont pas été épargnés non plus : ils ont
été les ennemis héréditaires traditionnels pendant très longtemps.
Et par exemple, on dit "filer à l'anglaise", et de même en
Angleterre on dit "filer à la française", "to take the french
leave".

E. LATTANZIO : Ce n'est pas très aimable puisqu"il s'agit de se
défiler sans gloire, sournoisement. Là encore, l'origine de
l'expression est contestée. Un calembour avec "engueler""; filer à
"l'anglaise" pour ne pas se faire "engueuler". Peut-être ! Pas sûr
!

Y. AMAR : Ou filer "comme une anguille". Ou pour éviter de se
faire "angler", c'est-à-dire, en ancien français, être pris à
l'hameçon ? Tout est possible.

C'était "Parler au Quotidien", une émission proposée par le Centre
National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... Et par Radio France Internationale.