ENCEINTE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio
E. LATTANZIO : Il y a une très jolie mode en ce moment pour les femmes qui attendent un enfant : elles s'entourent le ventre d'une très large ceinture, alors que leurs mères auraient plutôt eu tendance à cacher leurs formes. Elles, elles soulignent. Y. AMAR : Peut-être est-ce aussi plus confortable : ça maintient. En tout cas, on peut dire qu'elles sont enceintes dans les deux sens du terme : elles attendent un enfant : c'est le sens évident de cet adjectif, enceinte. Et en même temps, elles sont enceintes, c'est à dire ceintes d'une ceinture, entourée d'un foulard qui leur sert de ceinture. E. LATTANZIO : Et là, nous retrouvons l'étymologie exacte de l'adjectif ... Y. AMAR : Ce sont des femmes pléonasmes ... E. LATTANZIO : En quelque sorte, puisqu'en ancien français, on disait même que c'était des ventres qui étaient enceints. Il existait d'ailleurs un verbe, enceinter, qui a disparu de l'usage français qui signifiait engrosser, et que l'on retrouve dans certaines régions d'Afrique à l'heure actuelle. Y. AMAR : Et il est dommage qu'on ne l'emploie pas en France. On va considérer que ce mot a un sens ou un emploi vulgaire. Mais c'est simplement qu'on est timide ou qu'il y a des tabous. (C'est vrai qu'il en faut). Mais il n'y a pas de mot courant pour remplacer cet "enceinter". Vous signaliez engrosser. Ce mot-là fait vulgaire en français moderne. Il veut dire : rendre une femme enceinte; et il est plus vulgaire probablement aujourd'hui qu'il ne fut jadis. Est-ce que vous vous souvenez de Sganarelle par exemple parlant à Don Juan - Il est vrai que c'est Sganarelle, le valet, mais quand même c'est dans Molière - et il disait à Don Juan : "il a bien fallu que votre père engrosse votre mère ... E. LATTANZIO : Si on décline la famille, une femme qui a été engrossée est grosse. Là non plus, l'adjectif n'est pas tellement élégant, mais en revanche, on parle de la grossesse, et pour le coup, il s'agit d'un terme tout à fait standard, et qui n'est pas particulièrement péjoratif ou inélégant. Vous le voyez, on a trois mots de la même famille et trois niveaux de langage très marqués. Y. AMAR : Pendant cette grossesse, la femme attend un enfant. Là également, l'expression est tout à fait neutre et courante. Il y a un certain nombre soit d'euphémismes, soit d'expressions vulgaires, parfois amusantes car on n'est pas très à l'aise avec ça, qui vont dire la même chose. E. LATTANZIO : On peut attendre par exemple un heureux événement. Ca fait un peu cucu la praline, passez-moi l'expression ! Y. AMAR : Je vous la passe tout juste, parce que c'est vous. E. LATTANZIO : Plus régional peut-être : Madeleine attend de la famille ... Y. AMAR : C'est amusant ... E. LATTANZIO : Et ironique. Elle est dans une position intéressante. Je ne sais pas laquelle, mais en tout cas l'expression est figée. On peut dire de la même manière qu'elle est dans une situation intéressante; je ne sais toujours pas pourquoi, je ne fais que relever le dictionnaire. Y. AMAR : Si je comprends bien, vous m'avez laissé la tâche malaisée de décliner les expressions plus vulgaires. On dira par exemple : "Arielle est en cloque". Je suis désolé, je n'oserais pas le dire; je le dis ici entre guillemets. Une cloque est une ampoule, une grosse chose qui pousse, on voit l'analogie. E. LATTANZIO : De même, on dira : elle a le ballon, qui n'est pas plus élégant mais tout aussi imagé. Elle a avalé un pépin ... Y. AMAR : Ca, c'est plus drôle, et moins fréquent. E. LATTANZIO : Plus agricole ... Quand au Polichinelle dans le tiroir, je vous laisse juger de l'opportunité de l'expression. Y. AMAR : Ca s'emploie en général pour des grossesses qui ne sont pas très avancées, et justement quand ça ne se voit pas ... et parfois à propos de mariage. "Oh ! ce mariage a été un peu hâtif. Gageons que Marie-Suzon aura un polichinelle dans le tiroir". C'était "Parler au Quotidien", une émission proposée par le Centre National de Documentation Pédagogique ... E. LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONAL.