POISSON

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y. AMAR : Evelyne, ne trouvez-vous pas que le poisson a un étrange
destin dans notre langue ? Il avait bien commencé, lui qui était
le signe de reconnaissance des premiers chrétiens. Et pourtant, ce
noble animal porte entre ses écailles l'écume de l'injure et de la
déjection.

E. LATTANZIO : Pourtant il y a des poissons heureux. Et un humain,
lorsqu'il est heureux, dit lui-même, heureux comme un poisson dans
l'eau.

Y. AMAR : En général, la comparaison n'est même pas prédédée d'un
adjectif : il est comme un poisson dans l'eau, dans tel ou tel
milieu, depuis, par exemple, qu'il travaille à la banque ou à la
poste.

E. LATTANZIO : Et les poissons d'Avril ? Eux non plus n'ont rien
de péjoratif. L'expression fait référence à une blague
traditionnelle du 1er Avril : on s'accroche mutuellement des
poissons en papier dans le dos, ou on se fait des farces qui ne
prêtent pas à conséquence.

Y. AMAR : Malgré tout, ce poisson d'Avril a un sale passé. Jusqu'à
la Renaissance, l'expression est scabreuse : un poisson d'Avril
est un souteneur, c'est celui qui a une belle amie et qui vit des
charmes de la demoiselle en question.

E. LATTANZIO : Mais pourquoi "d'Avril" ? D'après le linguiste
Alain Rey, "Avril" est la saison priviligiée de la pêche au
maquereau, et le début du printemps est propice aux amours
illégitimes.

Y. AMAR : Il s'agit donc des amours illégitimes ! Nous y voilà :
poisson d'Avril et maquereau sont synonymes de souteneur,
d'entremetteur, de protecteur de prostituées, dont il gère le
commerce.

E. LATTANZIO : Toujours dans le vocabulaire de la délinquance, on
parle de gros poisson, qui s'oppose au menu fretin.

Y. AMAR : C'est le jargon policier : on laisse filer des
délinquants de peu d'importance, pour qu'ils conduident les
enquêteurs à de gros poissons, c'est-à-dire aux chefs de bandes.

C'était "Parler au quotidien", une émission proposée par le Centre
National de Documentation Pédagogique...

E. LATTANZIO : ... et par Radio France Internationale.