VEUILLEZ AGREER
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio
Y.AMAR : "Ma bonne, il faut que je vous conte une radoterie que je ne puis éviter." Ainsi commence l'une des innombrables lettres de l'exquise Marquise (j'entends la Sévigné) à sa fille chérie, la Comtesse de Grignan. E.LATTANZIO : Si l'on en parle, c'est qu'elle nous quittait il y a trois siècles déjà (c'est fou ce que le temps passe) et qu'une exposition vient de s'ouvrir pour nous rappeler son souvenir, en l'Hôtel Carnavalet à Paris, qu'elle habita longtemps et avec plaisir. Y.AMAR : "Ma bonne, ma chère bonne, ma chère enfant..." autant d'expressions qui montrent bien qu'une lettre ne va pas sans quelques signaux particuliers qui montrent son début et sa fin. Ce qu'on appelle des formules de politesse. Ces formules, si elles sont souvent codées, si elles répondent à certaines règles, ne sont pas pour autant vides de sens : "Je t'aime, je pense à toi, je te serre tendrement dans mes bras" est plus éloquent que "bons baisers". Ces formules d'ailleurs changent selon les époques. E.LATTANZIO : L'étiquette des cours d'antan imposait beaucoup de courbettes envers les Grands, ce qui n'excluait pas parfois l'impertinence, l'ironie ou le clin d'oeil. Rappelez-vous Voltaire s'adressant au Régent : "Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Altesse Royale le très humble et très pauvre secrétaire des niaiseries." Y.AMAR : Ces formules parfois font rêver par leur emphase qui pourtant étaient simplement dans l'air du temps : Alessandro Scarlatti au Prince Ferdinand de Médicis : "Que le Seigneur comble Votre Altesse Royale de ses bénédictions les plus éclatantes, tandis qu'adressant à sa divine Majesté mes indignes prières à cette fin, je me prosterne avec la déférence et l'obéissance dues : de Votre Altesse Royale le très-humble, très-dévoué et très-reconnaissant serviteur, Alessandro Scarlatti." E.LATTANZIO : On est bien loin aujourd'hui de révérences aussi prononcées, mais si l'on écrit à un puissant, mettons, au hasard, un ministre, il ne sera pas ridicule de l'assurer de sa "considération respectueuse". Y.AMAR : Quelques conseils pour s'orienter dans cette jungle. Si la lettre a un caractère officiel, faites simple : Monsieur, Madame, suivi le cas échéant du titre du destinataire. Madame la Directrice, Monsieur le Maire. Ensuite, quelques mots simples permettent de marquer une certaine graduation dans l'intimité ou la familiarité, essentiellement : "cher", cher confrère, chère maman, "mon", mon cher ami, "très", ma très chère Evelyne. E.LATTANZIO : Les formules terminales sont souvent plus complexes. Là encore, on a intérêt à être simple. Il est vrai que lorsqu'on s'adresse à un supérieur, on peut recourir à la formule compliquée : "veuillez agréer" ou "je vous prie d'agréer" (c'est-à-dire veuillez accepter, veuillez recevoir). Il faut alors aller jusqu'au bout de cette formule : "Veuillez agréer l'expression de mes sentiments respectueux, etc." Y.AMAR : Autre problème : l'expression de mes quoi ? Selon l'importance du fossé qui vous sépare du destinataire, vous pouvez exprimer vos sentiments respectueux, dévoués ou distingués (avec ce dernier, on est pratiquement à égalité, mais dans un cadre protocolaire). E.LATTANZIO : Un tout petit peu moins guindé que "Veuillez agréer", on a "Veuillez croire" ou "Croyez à" (ma très sincère amitié, par exemple). Plus légères et plus modernes, on a des formules bien plus courtes : "Meilleurs sentiments", "Bien à vous", "Amicalement".