ELLE, MOI, JE, TU, ETC.
Par: (pas credité)
Y.AMAR : Jean Genet à la Comédie Française. C'est ce qui se passe
avec "Elle", titre d'une de ses pièces, et bon prétexte pour
parler du destin hors-série des pronoms personnels dans la langue
française. Le système des pronoms personnels français est
abominablement compliqué, et on ne va pas le décrire en trois
minutes.
E.LATTANZIO : En tout cas, "elle" a pu se transformer en nom
propre, se nominaliser, en particulier en devenant le nom d'un
célèbre magazine féminin. Le mot est fixe et personne ne s'y
trompe : on dit "je lis Elle" et non "je la lis", en faisant comme
si "elle" était un pronom, dont la forme pouvait changer.
Y.AMAR : Malgré tout, l'utilisation des pronoms personnels comme
noms n'est pas si fréquente (notons le "tu" et le "vous", pour
désigner le tutoiement et le vouvoiement).
E.LATTANZIO : A part ça, c'est vraiment le "moi" le plus
intéressant. En tant que nom il apparaît vers le 16ème siècle avec
le sens de personnalité, individualité. On le retrouve dans la
prose des philosophes (Descartes) et bien sûr, chez Pascal, dans
un contexte péjoratif : "Le Moi est haïssable". Mais tout ça n'est
pas d'un usage très courant.
Y.AMAR : Le mot trouve un regain d'énergie avec la psychanalyse.
Le Moi apparaît dans la théorie freudienne,coincée entre le Surmoi
et le Ca, comme une sorte de lieu de la personnalité médiateur
entre les instincts (pulsions & Co) et le sens du devoir.
E.LATTANZIO : Le mot de "Surmoi", qui incarne le censeur, à la
fois juge et porteur d'idéal, est parfois utilisé dans un
vocabulaire courant qui veut vulgariser les concepts
psychanalytiques, mais reste assez rare.
Y.AMAR : Moi et Surmoi, dans ces emplois, sont bien sûr traduits
de l'allemand (ich, über-ich), mais bizarrement, l'anglais a
choisi pour les traduire les mots latins "ego" et "super-ego".
C'est probablement sous cette influence que le français s'est mis,
dans un langage familier et ironique, a employé ce mot d'ego : "Il
a un ego gros comme ça !" = il s'accorde beaucoup d'importance, et
prend beaucoup de place.
E.LATTANZIO : Cet emploi a été grandement facilité par la présence
ancienne de mots formés sur "ego", en particulier "égoïsme" et
"egocentrisme". Le premier est le plus courant, mais n'est pas si
vieux (18ème siècle). Il désigne ce défaut de ne s'occuper que de
soi, mais surtout de ne pas penser aux autres, et de rester
indifférent à leurs souffrances ou leurs besoins.
Y.AMAR : Egocentrique date du 20ème siècle et s'applique à celui
qui ne peut appliquer son esprit ou ses préoccupations à autre
chose que ce qui le touche personnellement. Mais le mot, même s'il
ne renvoie pas à une qualité, est moins moral qu'égoïsme.