BOUFFON
Par: (pas credité)
Rigoletto repris à l'Opéra Bastille ! Excellente occasion de
parler du bouffon, puisque c'en est un, puisque d'ailleurs,
Rigoletto ne fait que reprendre, transposée en Italie la tragique
histoire du "Roi s'amuse", de Victor Hugo. Triboulet, bouffon de
François Ier finira par causer la mort horrible de sa fille, alors
même qu'il voulait la venger.
Le personnage du bouffon est très particulier dans les hiérarchies
des cours royales. Précisément, il échappe aux hiérarchies. Sans
pouvoir, sans rival, c'est une ludion qui échappe à l'ensemble
des contraintes sociales en les court-circuitant. Il ne commande,
ni n'obéit, et peut se permettre de tout dire au monarque sur le
mode de la dérision. Il correspond au joker - mot qui le traduit en
anglais, et en même temps qui désigne une carte susceptible de
prendre n'importe quelle fonction, n'importe quand. D'ailleurs, le
joker des cartes à jouer est représenté avec les mêmes attributs
que certains bouffons, en particulier, une petite cornette à
clochettes.
Ce nom de bouffon, qui vient de l'italien buffone est au départ un
sobriquet, lié au caractère rondouillard du bonhomme : petit,
bossu, difforme, en tout cas, fort laid.
Or, ce nom est l'un de ceux qui mettent en perspective
l'illustrissime théorie de l'arbitraire du signe. En effet, le mot
vient peut-être d'un pléonasme expressif, puisque la syllabe
"bouff" évoque souvent les joues gonflées, à cause de sa
prononciation. C'est peut-être ce genre de formation expressive
qui a abouti à des mots comme bouffer, bouffi, bulle, ballon.
Bizarrerie de ces étymologies, le mot fou qui, parfois, a
exactement le même sens (le fou du Roi) aurait une histoire
étymologique semblable, avec ce son Fff..., lié à l'image de l'air
qui gonfle un ballon.
Revenons à bouffon. Au delà du personnage de Cour, le mot a servi
à désigner certains personnages grotesques du théâtre - comme
ceux, par exemple, de la Comédie Italienne. Et comme son origine
italienne était encore sentie, et qu'au XVIIe siècle, les
comédiens, musiciens, etc. d'origine italienne étaient nombreux à
Paris, les bouffons sont restés évocateurs de l'art à l'italienne.
Ainsi, l'Opera buffa - Opéra bouffe en français est-il plus
plaisant et souriant que l'opera seria (opéra sérieux). Mais, il
représente aussi la tendance italienne, et c'est ainsi qu'il faut
entendre la Querelle des Bouffons, polémique esthétique qui
déchaîna les passions vers 1750, et qui opposa les italianisants
(Rousseau et Grimm en particulier) aux tenants de l'opéra à la
française.
Un mot sur le jargon des jeunes d'aujourd'hui, où le bouffon est
devenu une insulte sévère : le bouffon, c'est le nul !
Yvan Amar