FRICHE

Par: (pas credité)


Les journées du patrimoine permettent des découvertes très
diverses et l'amateur ne salive pas seulement devant des
gentilhommières bien léchées, de rupines ambassades ou
des abbayes patinées par les prières.

Les journées du patrimoine ont aussi distingué ce qu'on appelle
des "friches industrielles", c'est-à-dire des sites industriels
qui ont cessé d'être en activité, en général, des usines
désaffectées.

On pense à de grands moulins dont aucune farine ne sort plus, à
une usine de machines à écrire en plein coeur de Paris. Mais, on en
parle aussi beaucoup car ces sites, parfois promis à une destruction
assez lointaine, voire hypothétique, sont souvent récupérés
pour servir d'ateliers d'artistes, de salles de répétition,
de lieux d'exposition ou de représentation.

L'art vient se nicher où le profit déserte, sous des noms divers ;
d'ailleurs, une association a même pris le nom poétique et vague
de C.Q.F.D.T. : ceux qui font des "trucs".

En tout cas, on voit bien que le nom de "friche" industrielle
correspond à une idée d'abandon, de désaffection.

Le mot n'est pas exactement péjoratif mais lié à des images de
dégradation, de rouille, de laisser-aller.

Et ces images sont, en gros, les mêmes pour les emplois plus
courants et plus anciens de friche, dans un contexte agricole :
une friche est un champ ou un terrain qui n'est pas (mais, en
général, qui n'est "plus") cultivé, qui n'est plus exploité.

Mais, plus courant que le nom "une friche", on trouve l'expression
adverbiale "en friche" qui signifie "inexploitée".

Et l'expression s'est répandue, au point d'être utilisée au sens
figuré. On peut parfois parler de gisements d'emplois laissés "en
friche".

Mais, plus encore, on parle, de façon abstraite et même
intellectuelle, d'intelligence "laissée en friche", de moyens, de
possibilités laissés en friche, lorsqu'on est dépité par
l'indolence de quelqu'un qui gâche son talent ou le laisse dormir.

Le plus bizarre est que tous ces emplois vont au rebours du
premier sens du mot : la friche, c'était au contraire ce que la
culture industrieuse et acharnée gagne sur la nature colossale et
aboulique : la friche - du hollandais ancien "virch" ou "virchland",
c'était la terre gagnée sur la mer, asséchée par des digues et
cultivée, humanisée, inventée presque par le travail des hommes.