KITSCH

Par: (pas credité)


C'est à Vienne qu'est organisé le Bal du mauvais goût, à la Haute
Ecole des Arts, quasiment en face de l'Opéra où se déroulera au
même moment le Grand Bal Annuel, reflet un peu pâlichon d'une
époque passée, glorieuse à l'aune de la traîne des robes - encore
faut-il penser que la beauté et le malheur du monde se mesurent à
ceux de Sissi. Le Bal du mauvais goût est là comme un symétrique
grimaçant, pour rappeler la condition des sans-abri. (Ça part d'un
bon sentiment, mais tout ça est encore assez germanique).

Tout ça permet de poser quelques questions sur le mot goût. De
"gustus" (latin), il désigne d'abord un sens qui, comme la vue,
l'ouïe renvoie à un sens : c'est la faculté de distinguer les
saveurs de ce qu'on a dans la bouche.

Puis le goût (des aliments), c'est la saveur elle-même. Par
extension, il devient le penchant, la disposition. Il est
d'ailleurs encore utilisé dans ce sens : souvent à la négative :
j'ai peu de goût pour les réunions bruyantes (la tournure a un
côté un peu sucré) ou encore : j'ai du goût pour les rousses.
D'ailleurs à l'époque classique, le mot avait souvent le sens
d'inclinaison amoureuse : le marquis de Croy avait pris goût pour
mademoiselle d'Etiolles.

A partir de là, il est aisé de comprendre comment s'opère un
nouveau glissement : le mot va désigner une disposition générale :
avoir du goût , c'est aimer les belles choses - et l'emploi est
devenu absolu : on a du goût ou on n'en a pas. On est ici passé
dans un vocabulaire idéologique, où le goût correspond au "bon
goût", c'est-à-dire une certaine distinction. On a du goût, ou au
contraire, on n'a aucun goût pour s'habiller, pour meubler son
intérieur, etc. Ça correspond à peu près à ce que peut apprendre
un autodidacte. C'est un effet secondaire de l'éducation qui ne se
rattrape pas après coup.

Et bien entendu, au bon goût s'oppose le mauvais goût. Cf notre
émission récente sur la vulgarité : le mauvais goût est forcément
criard, grossier, sans raffinement.

Et le "Kitch" alors ? C'est une catégorie un peu spéciale. Ce mot
allemand, introduit en français par Edgar Morin vers 1960, avait
déjà une longue carrière en Allemagne, en histoire de l'art, en
particulier avec la mode décadente de Louis II de Bavière.
Etymologiquement, il vient du verbe qui signifie ramasser la boue
des rues. Aujourd'hui, le "kitsch" représente une sorte de mauvais
goût conscient et explicite, délibéré et revendiqué par
provocation. C'est une esthétique du 2ème degré, du détournement :
"Je sais bien que c'est tarte, mais je ne vais pas me ridiculiser à
trouver ça tarte comme le premier bourgeois venu. Donc j'aime le
chromo, le naïf populaire et le clinquant des années 50.