DÉCHETS, ORDURES ET AUTRES SALETÉS
Par: (pas credité)
Aujourd'hui arrive à Ahaus un train de déchets nucléaires, comportant en
particulier une bonne masse de combustible irradié. On imagine sans peine
la colère de certains, pour qui la défense de l'environnement compte au
moins autant que l'honneur de leur nom.
Je vais vous le dire, moi, d'où ils viennent, tous ces déchets : ils viennent de l'ancien
français, du verbe déchoir. Le déchet, c'est du déchu, à l'origine en tout
cas ; du rebut ; ce qu'on jette parce que ça n'a pas pu servir.
Or tout va bien si ce déchet peut disparaître sans
laisser de trace (biodégradable). Mais s'il est indestructible, et
vraisemblablement toxique, rien ne va plus… C'est le cas pour les déchets
radioactifs. Pourtant, même avec un handicap péjoratif de départ, le mot
n'a pas que des valeurs totalement négatives. Le copeau du raboteur, par
exemple, est le type même du déchet. Rien de sale ni de dégoûtant
là-dedans. Il s'agit simplement de ce que le processus industriel a
éliminé, laissé de côté. Mais bien entendu, la péjoration ne se cache pas
bien loin. De façon figurée, par exemple, le déchet est la partie la moins
satisfaisante d'une production quelle qu'elle soit. Peu de déchet,
dira-t-on chez Hugo ou Picasso, dont la vie fut si productive qu'on y
distingue mal l'accouchement de la conception.
Un autre mot, beaucoup moins utilisé, est détritus, qui s'emploie en
particulier pour désigner ce qui pollue ou salit la voie publique : papier
gras, peau de banane, bouteille vide. Le mot est géologique au départ, puis
océanologique et biologique. Il renvoie à de petits fragments de matériaux
laissés pour compte ; et de fil en aiguille, le mot a glissé vers le
caniveau, probablement aidé par sa ressemblance avec déchet.
L'autre mot principal pour désigner ce qu'on jette, c'est ordure, mot bien
plus fort que déchet. Dérivé de l'ancien français ord, lui-même venu de
horridus en latin (= à l'aspect hérissé, ou qui provoque le hérissement),
il évoque d'entrée de jeu une répulsion physique : on répugne à toucher, à
sentir ou même à regarder l'ordure : non seulement on le rejette, mais on
le cache (rapport évident avec l'excrément). Lorsqu'on précise ordures
ménagères on modère un peu le propos en le rendant plus neutre. Mais bien
sûr, le mot pourra servir, au figuré, d'injure très forte : l'ordure est
moralement infâme, alors que le déchet humain, s'il est tombé au plus bas,
évoque plutôt la détresse et l'absence de dignité que la cruauté ou la
bassesse de sentiments.
Aura-t-on le temps de parler des récipients imaginés pour recueillir
tous ces résidus ? La poubelle, à elle seule mérite une émission
en ce qu'elle a fait un parcours du plus neutre au plus sale.
C'est au départ le patronyme d'Eugène, préfet de Paris, qui
rendit obligatoire les boîtes à ordures collectives d'immeubles
(15 janvier 1884). Et poubelle évoque maintenant autant la saleté qui la
déglingue. En revanche, boîte à ordures et plus encore corbeille à papier
cherchent l'euphémisme.