SOUS LES PALMIERS
Par: (pas credité)
"Jazz sous les pommiers", excellent festival qui, depuis Coutances, fait danser
la Manche au mois de mai, depuis quelques années.
Pourquoi sous les pommiers ? Parce qu'au cœur de la Normandie, on est au pays
de la pomme. Mais aussi parce que cette expression malicieuse "fait la nique"
à une autre : "sous les palmiers".
Cette image, d'un exotisme de carte postale, évoque un Eden tropical fait
de chaleur, d'oisiveté et de sieste ; on n'est pas loin du "Mexicain
basané-é" (et, de toute façon, s'il a un sombrero sur le nez-ez, comment
savoir s'il est basané-é ?). Mais l'image des palmiers a dévié : dans un
langage figuré, familier, et volontiers jeune, être sous les palmiers,
c'est être en vacances dans sa tête, ni être anxieux, ni pressé, et parfois
même, être totalement dans les nuages. Cet idéalisme exotique a-t-il une
dette vis-à-vis des palétuviers ? Ce ne serait pas impossible vu le
succès, ancien mais durable, de la scie qu'immortalisa Pauline Carton dans
son délire amoureux et burlesque : "aimons-nous sous les palétuviers roses".
Connaissons-nous d'autres arbres ainsi porteurs de sens ? Quelques-uns. Le
chêne, par exemple, fortement masculin et charpenté, qui évoque un
personnage solide et protecteur, au moral comme au physique. "Solide
comme un chêne" = "solide comme un roc". Mais on n'aura garde d'oublier
la fable du chêne et du roseau, qui voit justement le fracas sombre,
brusque et inattendu d'une chute définitive : cet écho est aussi présent
dans l'image du chêne. Et tout cela nous amène au roseau, image peu
fréquente, mais qui malgré tout existe pour évoquer celui qui sait laisser
passer l'orage, n'affronte personne directement, ne s'émeut pas trop des
tempêtes. Comme dans la fable, sa faiblesse n'est qu'apparente, et ce qui
domine chez lui, ce serait une certaine obstination flegmatique. De plus,
un autre souvenir dix-septièmiste vient s'adjoindre à celui-ci : celui du
roseau pensant pascalien, grand en ce qu'il peut être conscient de n'être
qu'un roseau.
Le marronnier propose une toute autre thématique : il fait partie de la
mémoire française et de l'imaginaire de l'Ecole laïque : la rentrée des
classes, octobre qui se profile (jadis, c'était d'ailleurs le 1er octobre),
voilà les marrons qui tombent dans la cour de récréation. L'occasion pour
le journaliste en mal de copie d'écrire un article d'actualité qui plaît
toujours, avec tendresse et nostalgie. Dans le jargon du métier, on appelle
donc un marronnier un article prévisible, dont le sujet se retrouve chaque
année à la même époque (les vitrines de Noël, le Salon de l'auto, les
embouteillages du week-end de l'Ascension).
Un mot sur le sapin pour terminer. Un mot qui pourrait n'être pas très gai :
ça sent le sapin signifie : il y a une mort dans l'air, et à propos de
quelqu'un de précis, il est très mal parti, il ne va pas faire long feu. La
référence est claire : les cercueils avaient coutume d'être en sapin. Mais
cette expression, un peu désuète, n'est pourtant pas trop morbide, et
bizarrement, ce serait plutôt sa bonhomie qu'on retiendrait.