DÉGOUT

Par: (pas credité)


D'égouts et des couleurs : c'est le nom particulièrement bien trouvé, qu'on
a donné à une exposition de plaques d'égouts qui, du 6 juin au 16 septembre,
va transfigurer les cimaises du musée des égouts de Paris.
Défroncez, belle Evelyne, votre beau sourcil noir, et laissez votre arcade
retrouver son habituelle sérénité : tout ceci n'est que l'exacte vérité. Ce
titre, bien sûr, repose sur un calembour entre le goût et l'égout, à partir
de l'énoncé proverbial : "des goûts et des couleurs il ne faut discuter".
Un vrai calembour puisque les sens des deux mots peuvent être rapprochés,
(un égout dégoûte), et que les sonorités sont très proches, mais que les
origines sont totalement différentes : l'égout vient de la goutte, c'est
l'aboutissement de la gouttière et de la plomberie des familles, astucieux
intestin urbain qui permet l'écoulement des eaux de pluie des eaux usées.

Quant au dégoût, c'est bien autre chose. Le mot est bien sûr formé sur
goût, un mot qui, au-delà du sens de la saveur désigne un penchant : avoir
du goût pour quelque chose, c'est l'aimer, en général lorsqu'il s'agit de
quelque chose qu'on peut consommer, ou au moins savourer avec plaisir :
avoir du goût pour les asperges, les rousses, la solitude, etc.
L'expression s'utilise aussi à la négative, en général, sous forme de litote
un peu pincée : "J'ai très peu de goût pour ce genre de plaisanteries".

Aussi, si le goût exprime une disposition à aimer, le dégoût exprime le
contraire : "J'ai le dégoût de ce légume", comme disait Jacques Vingtras.
On est ici renvoyé à un rejet profond, une répulsion physique ; ce n'est
pas qu'on n'aime pas, c'est qu'on ne supporte pas : le dégoût, c'est l'envie
de vomir, une sorte de mécanique organique incontrôlée, en tout cas qui
n'est pas d'ordre de la volonté.

Cette idée de nausée s'exprimera d'autant plus qu'on a recours au verbe :
ça me dégoûte, alors que l'adjectif dégoûtant est quand même moins fort.
Des synonymes ? Ça me répugne, ça m'écoeure, ça me débecte.

Pourtant, un caractère si péjoratif s'attache à ces mots, que même leurs
contraires sont parfois contaminés : ragoûtant n'est plus senti comme
l'antonyme de dégoûtant, alors que le mot est censé évoquer ce qui met en
appétit, ce qui fait saliver (cf. ragoût). On va donc ne l'utiliser qu'à la
négative, et l'ambiguïté n'aura pas lieu d'être : c'est pas ragoûtant.
Pourtant, on vient de le dire, dégoûtant est moins fort que d'autres mots
de sa famille. C'est aussi qu'il prend parfois un sens plus abstrait et
plus moral. Voyez-moi ce glissement : une charogne dégoûtante ; et votre
main, qu'est-ce qu'elle fait là, espèce de vieux dégoûtant ? des
tripatouillages à la mairie assez dégoûtants…

Symétrique de dégoûtant, on a un modèle nettement plus populaire :
dégueulasse - littéralement qui fait vomir (dégueuler). Le mot reste très
cru, bien qu'il soit probablement d'un usage plus fréquent qu'auparavant
(cf. Jean Seberg : "Qu'est-ce que c'est, dégueulasse ?").