PONT
Par: (pas credité)
Le Conseil municipal de Rouen doit délibérer sur le choix d'un nouveau pont
levant pour franchir la Seine. " Pont levant " ? Oui, et non " pont-levis
". Si le principe de base est le même, les deux mots renvoient à des
réalités différentes : le pont-levis, arrimé à son imagerie médiévale, avec
ses chaînes grinçantes, son fossé et la forteresse dont il commande l'accès
; le pont levant évoquant la hardiesse de l'architecture moderne, avec ses
légèretés qu'on pèse en milliers de tonnes, et qui rivalise avec les ponts
tournants, basculants, suspendus, etc.
En tout cas, le pont, qui symbolise la maîtrise de l'homme sur la nature,
était bien placé pour générer de nombreuses images figurées, anciennes ou
modernes. Le pont est ce qui rend le passage aisé (ou tout au moins
possible), ce qui explique le sens d'une ancienne expression : faire un
pont à quelqu'un = l'aider, favoriser ses entreprises. Ça ne se dit plus
aujourd'hui : on dira plutôt : lui faire la courte échelle.
Mais cette image nous aide aussi à comprendre l'ancien sens d'une locution
qui existe de nos jours, avec un emploi qui a bien changé : faire un pont
d'or était au départ une image guerrière, et même tactique. Il s'agissait,
pour une armée en passe de gagner une bataille, de ne pas couper toute
porte de sortie à l'ennemi. En lui ménageant une retraite, on évitait un
combat à outrance et les dégâts causés par l'énergie du désespoir. On
s'assurait donc une victoire plus confortable. Mais aujourd'hui, cet emploi
est tout à fait oublié : faire un pont à quelqu'un c'est lui faire une
proposition financière extrêmement alléchante pour s'assurer ses services.
L'expression s'emploie en particulier s'il s'agit de débaucher quelqu'un :
" Les Américains lui ont fait un pont d'or mais il a préféré continuer avec
sa petite équipe du CNRS, dans son vieux labo poussiéreux ". L'image est
assez claire.
Revenons à la première signification de notre pont, le lien, la transition,
le chaînon. Ce qui, à la négative, permet de comprendre une expression
courante comme " couper les ponts " : cesser brutalement et radicalement
toute relation avec quelqu'un ou plus généralement avec un certain milieu,
ou un groupe de gens : " Lorsqu'il a changé de métier, il a coupé les ponts
avec tous ses anciens amis ". Pourquoi ce pluriel ? Il semble qu'il soit
simplement expressif : la coupure est plus radicale.
D'autres expressions font appel aux ponts sans avoir réellement de lien
entre elles, mais elles sont parfois mystérieuses : " Vous vous portez
comme le Pont-Neuf " veut dire vous êtes en pleine santé. (Le Pont-Neuf,
paradoxalement aujourd'hui le plus ancien pont de Paris, était réputé pour
sa solidité).
Et terminons avec deux expressions inverses : " sur le pont " et " sous les
ponts ". Avec cette dernière, on reste dans le folklore parisien.
Traditionnellement, ce sont des clochards qui dorment sous les ponts (mais
l'image est un peu vieillotte, et antérieure à la multiplication des SDF).
Mais elle est utilisée figurativement comme une image du grand dénuement et
de la clochardisation : " Tu finiras sous un pont ". " Etre sur le pont "
n'a rien à voir, renvoie au sens marin du pont, la partie exposée d'un
navire, où l'on se tient lorsqu'on fait des manœuvres. " J'ai été sur le
pont toute la matinée " signifie donc je n'ai pas arrêté une minute d'être
actif, d'être sollicité.