LE DESTIN DU "E" MUET

Par: (pas credité)


Les migrations estivales autant que l'amour du sport font se rencontrer des accents francophones différents ; ainsi peut-on in vivo expérimenter le battement phonétique qui existe d'une région à l'autre. Parle-t-on dans le midi de foote ball ? Rarement. Mais de pénalety ? Beaucoup plus. Comment ça pénalety ! Mais, je te dis moi qu'il n'a pas fait exeprès ! Exeprès - mot qu'on lit tel quel chez Queneau, mais qu'on entend dans la vie (et pas seulement au sud de la Loire). Donc, l'accent dit méridional (beaucoup) et l'accent dit pointu (un peu) ont une tendance commune à rajouter des " e ", en particulier, pour prendre des appuis entre deux consonnes : arc (e) de triomphe, arc (e) boutant, compact(e) disque… Cette tendance aligne ces mots sur la majorité des mots français. C'est donc une faute bien française.

Alors, ce " e ", voyons quand on le prononce, ou pas. Sa prononciation est obligatoire quand il est suivi d'une consonne et précédé de deux. Dans " vendredi " par exemple ; alors que dans " samedi ", la prononciation du " e " est facultative. On a là notre fameux " e " instable. Autre exemple : " J'irai probablement à la pêche à la crevette ". Le " e " sert d'appui pour qu'on prononce la consonne d'après. C'est donc la chaîne parlée qui rend sa prononciation obligatoire : " L'âpre sifflement aigrelet de cet oiseau… ". Et c'est d'ailleurs la situation d'" arc de triomphe". L'absence de " e " en fait un monstre phonologique. Le problème est donc qu'en français, on ne peut prononcer trois consonnes à la suite : " Tu bâcles ton travail… ", alors qu'on peut dire " tu bâcles " sans prononcer le " e ".

Encore une précision : on ne peut pas prononcer trois consonnes à la file quand les deux premières appartiennent à la même syllabe. " Autrement dit ". Mais si les deux premières consonnes appartiennent à deux syllabes différentes, là, on peut prononcer les trois consonnes à la suite, et le " e " qui les sépare est instable : " Tu parles tellement vite que je ne comprends rien ". Dernier cas à considérer : plusieurs " e " se succèdent : " Je me gratte " Ou bien on n'élude rien, ou bien on élide le premier " e " " J'me gratte ", ou bien on élide le deuxième " e " : " Je m'gratte ". Donc, tout est possible, sauf d'élider les deux. Pourtant, la tendance contemporaine est d'élider le premier " e ". L'élision du deuxième sonne souvent populaire et archaïque (ou calaisien) : " une goutte d'café ", " la peine d'mort ".