SUCRE

Par: (pas credité)


Quelle race de collectionneurs appelle-t-on du nom de glycophiles ? Tout
simplement, les collectionneurs de sucres emballés.

Glyco du grec glukus, "doux", radical entrant dans la formation de
nombreux mots savants ayant rapport au sucre : "glucide", "glucose",
etc. Si ce préfixe grec rentre essentiellement dans la composition des
mots savants, la langue courante, elle, se compose du mot sucre qui
a cependant une origine fort exotique.

Etym : sucre vient du sanscrit carkara, qui va se déformer successivement
en passant en arabe puis en grec où il va donner sakkharon d'où dérivent un
certain nombre de mots savants français comme saccharine ou saccharose.

Le commerce de sucre apparaît dès le Xème siècle, c'est sur lui que Venise
établira sa fortune ; mais jusqu'au XVIIème siècle, c'est une denrée rare,
précieuse, qui est généralement vendue par les apothicaires - ancêtres de
nos pharmaciens. A l'époque, on dispose de toute une variété de sucres dont
certaines ont survécu jusqu'à nos jours, citons par exemple :
- le sucre candi : de l'arabe gandï, "sucre de canne" : sucre dépuré et
cristallisé.
- la cassonade : on disait autrefois "casson" pour désigner le sucre qui
n'a été raffiné qu'une fois. Le mot et la chose sont surtout utilisés dans
le Nord de la France.
- la vergeoise : autre nom de la cassonade.
- la mélasse : c'est le sirop qui reste après la cristallisation du sucre et
qui ne donne pas de cristaux.

Jusqu'au début du XIXème siècle, le sucre est tiré de la plante dite "canne à
sucre" cultivée dans les colonies européennes, c'est donc un produit
coûteux. Pour que les prix baissent, il faudra attendre monsieur Achard
qui, en 1786, met au point l'exploitation industrielle du sucre de
betterave, le plus couramment consommé de nos jours. Mais le sucre de canne
est toujours fabriqué et on précise dans ce cas "sucre de canne", ou
encore "sucre roux" en raison de sa couleur.

Le sucre s'est banalisé dans la consommation des Occidentaux et le mot
sucre, lui-même, s'est installé confortablement dans notre langue. Le
sucre, c'est ce qui est doux et bon. D'où les formules du type "c'est du
sucre" pour dire : c'est excellent, c'est le meilleur. Le morceau de
sucre, c'est ce qu'on donne en récompense aux chiens, d'où une expression
"recevoir un morceau de sucre" qui est une expression utilisée dans le
monde du spectacle et qui signifie "être applaudi dès son entrée en scène".

On utilise souvent le mot sucre comme un adjectif (toujours invariable),
"il était tout sucre", on ajoute parfois en guise de surenchère "tout
sucre, tout miel", ces deux formules suggèrent une attitude doucereuse,
mielleuse et donc un peu hypocrite. Même chose pour "faire sa sucrée"
(toujours au féminin) : là encore "prendre un air doucereux et faussement
tendre", idée d'affectation, de fausseté. (Cf. "faire sa sainte sucrée",
construit sur le modèle de "faire sa sainte Nitouche").

Le sucre, c'était précieux, donc, dans la langue familière "se sucrer",
c'était métaphoriquement "s'enrichir", mais attention, employé de façon
transitive et figurée et le verbe sucrer a un sens tout à fait différent
"sucrer quelqu'un", c'est l'exact antonyme, cela signifie "maltraiter une
personne". "Sucrer quelque chose", c'est le faire disparaître, le
supprimer, "sucrer un poste" = le supprimer, "sucrer un texte", c'est en
quelque sorte le "caviarder", c'est-à-dire lui infliger des coupures.

Toujours dans cette version agressive, "casser du sucre sur le dos de
quelqu'un" : "dire du mal en son absence". On connaît mal l'origine de
cette formule qui date du XIXème siècle. On peut se souvenir que "casser
le morceau" signifiait "dénoncer" et que "se sucrer de quelqu'un"
signifiait au XVIIIème siècle "le prendre pour un imbécile". De toute
façon, le mot "casser" et la précision "sur le dos" induisent une idée
d'agressivité et de malveillance.

Enfin, "sucrer les fraises" est d'origine obscure mais on comprend bien
l'allusion : l'image évoque un tremblement nerveux, comme lorsqu'on veut
sucrer les fraises, mais on fait référence là à un symptôme de sénilité et
de gâtisme.