FAIRE FORT

Par: (pas credité)


"Pour son anniversaire, Pierre a invité 150 personnes, il a fait fort" :
expression courante appartenant au langage à la mode, branché, qui -en
général- a une signification assez ambiguë. On l'utilise pour suggérer une
idée d'excès ("tu as acheté 20 CD d'un coup, tu as fait fort !") mais un
excès qui n'est pas forcément jugé de façon négative, au contraire, il y a
souvent une nuance d'admiration devant la performance ou, tout simplement
d'étonnement.

L'expression a sans doute suivi le modèle d'une autre expression plus
ancienne, moins branchée, mais elle aussi populaire, l'expression "tu y
vas fort" : votre fils se gave de friandises, vous lui direz : "tu y vas
fort avec les bonbons" signifiant cette fois une exagération condamnable.
Notons qu'ici le pronom proverbial y renvoie généralement, mais de façon
néanmoins confuse, à la chose qui est l'objet de l'exagération (dont le
nom suit en général la formule).

Quel est ici le statut de "fort" ? C'est un adverbe, c'est-à-dire un mot qui
caractérise le sens du verbe. En tant qu'adverbe de manière, "fort" est en
concurrence avec l'adverbe "fortement" qui a le même sens mais qui est
beaucoup moins créatif dans le langage courant, peut-être à cause de sa
longueur. Dans ces deux expressions, "fort" reste donc invariable.

Pour en revenir à notre expression (favorite actuellement du jargon des
jeunes) "faire fort" ("tu as eu 20 en maths, tu as fait fort !"), on
remarque aussi qu'elle ressemble à une autre expression qui appartient
celle-là au langage plus soutenu, et qui a un sens sensiblement différent,
c'est l'expression "se faire fort de…", "je me fais fort de résoudre ton
problème d'algèbre en cinq minutes". Ici, l'expression signifie : se
prétendre assez fort pour faire telle ou telle chose, bref, se vanter de
ses capacités.

Par extension, on est passé à l'invariabilité en nombre : "les directeurs
de l'entreprise se font fort de régler le problème des salaires". "Fort"
reste ici au singulier. Notons cependant que si l'invariabilité de "fort" est
la règle d'usage, les grammairiens tolèrent l'accord grammatical.

"Fort", adjectif, est aussi invariable dans l'expression familière, "c'est
fort de café" qui exprime aussi une idée d'excès un peu scandaleux. "Il
est parti au restaurant sans payer sa part, c'est un peu fort de café !".

"Fort", adverbe ou adjectif ? Il arrive parfois qu'on mette dans une même
expression les deux formes. Vous vous souvenez sans doute d'un slogan
publicitaire pour une eau minérale : "St-Yorre, fais-moi fort", en fait,
le mot "fort" a ici un double statut, il a à la fois la valeur d'adjectif qui
exprime l'idée de puissance, (fais-moi fort = rends-moi fort) mais puisque
le slogan était aussi prononcé par une jeune femme, l'absence d'accord
("fais-moi fort", et non "fais-moi forte") indiquait en fait que le
publicitaire voulait faire entendre aussi l'expression populaire "faire
fort" dont nous venons de parler pour suggérer une idée d'intensité.