RHUM

Par: (pas credité)


Le départ de la Route du Rhum de Saint-Malo, cette célèbre course
transatlantique en solitaire nous invite à évoquer, non seulement le
dernier verre du condamné, mais toute la mythologie, et jusqu'à la genèse
de cette boisson rude, parfumée et traîtresse, compagne infidèle et aimante
de maint matelot et de quelques intellectuels attardés à la rhumerie du
boulevard Saint-Germain. Et c'est à un bref (mais palpitant) parcours de
curiosités étymologiques que nous convie ce coup d'œil à 60°.

Notons d'abord l'orthographe, et l'étonnante prononciation du mot (qui
désigne, et on en sera quitte pour les explications, une eau-de-vie de
canne à sucre). L'habitude du grec et de l'inutile complication (souvenir
imaginaire d'un rô avec esprit rude ? Contagion du mot rhume, ce qui coule
d'abondance ?…) en est-elle la cause ? En tout cas, le mot anglais rum,
dont l'histoire est elle-même obscure : abréviation de rumbullion, ou même
de rumbustion, deux mots anciens qui signifient tumulte, bagarre ? On
aurait alors désigné la boisson par les conséquences supposées de son
excès, un peu comme si l'on avait dit : "Je me jetterais bien une goutte
de rixe derrière la cravate" ou bien "je boirais bien un grand verre d'eau
dans le gaz".

Mais c'en est assez du rhum : je vous propose maintenant trois sauts de
puce, auprès du punch, du grog et du cocktail.
Punch ( = préparation aromatisée à base de rhum) vient de l'anglais bowl of
punch, qui donna au XVIIe siècle. le charmant bouleponge, qu'hélas la langue a
perdu. Mais cette francisation a laissé une trace dans la prononciation du
mot français actuel. Et d'où vient-il ce punch ? Peut-être de l'indi ( les
Anglais, donc les Indes), et d'un mot dont la racine indo-européenne serait
quelque chose comme pante. Même origine que la pente grec : ça veut dire
cinq, et ça viendrait des cinq éléments de base du punch indien.

Et grog ? encore plus incroyable ! L'Amiral Vernon, fleuron de la Royal
Navy (avant qu'il ne se déshonore au désastre de Carthagène dont on le
tient pour responsable), commandait la flotte des Antilles. Il avait
coutume de porter un habit côtelé de "gros grain"- en anglais grogram
et par abréviation, c'est ainsi qu'on l'appelait : grog …
Avant de prendre Porto-Bello, il ordonna, dans un double souci d'hygiène
de vie et d'économie de guerre, que les marins devraient couper d'eau par
moitié leur ration de rhum.. Le grog était né ; le reste n'est qu'affaire
de recette.
Trois secondes sur le cocktail ? Tout le monde connaît l'histoire. On
appelait ainsi (queue de coq, littéralement) la queue d'un cheval, à
laquelle on avait sectionné un muscle pour qu'elle se redresse avec grâce.
Mais seuls les chevaux de seconde catégorie étaient traités de la sorte :
les purs-sang y échappaient. On a donc fini par appeler cocktail un cheval
de course bâtard, puis un gentilhomme de noblesse douteuse, sorte
d'aristocrate mélangé. Du mélange des sangs, le mot est passé au mélange
des liquides, et le tour fut joué.