PATRAQUE ET GRIPPE
Par: (pas credité)
Décembre et son cortège de frimas fait blanchir les ciels et couler les nez…
Et dans les pays tempérés (de l'hémisphère nord), cette saison est
propice aux petites maladies, à l'existence floue et aux dénominations
vagues : on n'est pas en forme, on ne se sent pas très bien, on est mal
fichu, "patraque". Ce dernier mot, légèrement familier, et très imprécis
médicalement (bien que son dérivé "patraquerie" soit, paraît-il, attesté en
médecine) a une histoire sémantique à vous donner le tournis : "patracca",
dans un dialecte d'Italie du nord, représente une petite monnaie. Passé en
français, il désigne une vieille breloque, ou un petit meuble passé de mode
(aboli bibelot d'inanité sonore) ; puis le mot tourne à l'injure, en particulier lorsqu'il
s'adresse à une marchande de poisson, surtout si on la soupçonne d'être
valétudinaire.
Et c'est à partir de là que le mot va perdre son caractère injurieux
pour s'accrocher à cette idée de faiblesse et de maladie floue.
Si décembre est une saison qui se prête à ce genre de maux, c'est que le
temps y est pour quelque chose, ce qui se retrouve dans le langage, là
encore de façon vague et non médicale : "attraper froid", "prendre froid",
"prendre un coup de froid". On parle aussi de refroidissement, mais si ce
terme n'est pas plus médical que les autres, il se veut moins familier,
plus correct, presque plus administratif (en un mot, plus froid).
L'exagération étant l'un des traits du langage familier, ce champ
sémantique n'échappe pas à la règle : plutôt que d'attraper froid, il est
plus expressif d'attraper "la crève" (ce qui peut vous faire "crever",
c'est-à-dire mourir). Et d'ailleurs, on peut aussi bien "attraper la mort" -
sans pour autant que ce soit très grave.
Si la maladie est un peu plus grave, c'est qu'on a une bonne "grippe". Mais
là aussi sait-on exactement de quoi on parle ? Le mot est très souvent
employé de façon générique pour renvoyer à un état fiévreux à la cause mal
déterminée, accompagné ou pas d'une bonne rhino-pharyngite - une
inflammation des voies respiratoires. Pourtant la grippe est une vraie
maladie - en tout cas une maladie répertoriée, virale, aux symptômes
précis, aux formes variées ; dont certaines sont très graves et parfois
épidémiques (grippe espagnole de 1919). Le nom de cette maladie a lui
aussi une histoire longue : "gripper" a le même sens, au départ, que son
composé "agripper" : c'est saisir violemment et brusquement. La grippe a donc
d'abord été l'humeur : "être grippé de quelque chose",
c'était en être entiché. Puis le mot se spécialise dans la mauvaise
humeur, la colère (parce qu'elle vous saisit soudainement). De là, l'expression "prendre
quelqu'un en grippe", qui existe toujours. Et le mot a évolué jusqu'à
renvoyer à cette maladie qui vous prend quand on ne l'attend pas.