FEVE, HARICOT & CO

Par: (pas credité)


L'Epiphanie fait parler de fève au point qu'on en parle encore le lendemain
- la preuve ! C'était, bien sûr, des fèves véritables qu'on avait coutume
jadis de glisser dans la galette des Rois. La tradition s'est plus ou moins
perpétuée dans certaines régions de France, même si la vraie fève est
remplacée dans presque tous les cas aujourd'hui par une petite figurine,
sorte de santon en porcelaine ou en plastique où se cristallise la ferveur
populaire, de l'imagerie des Evangiles au folklore de la Coupe du Monde. On
comprend donc, sans problème, une expression comme "avoir la fève", dont le
sens, par extension, peut être voisin de tirer le gros lot.

La fève est aujourd'hui un aliment peu consommé parce qu'épouvantable à
éplucher, alors qu'il a pendant longtemps été au centre des repas,
(notamment chez les pauvres). Mais dans la Rome antique, par exemple,
c'était l'un des aliments de base, et le Moyen-Age français en a fait un
gros usage. Elle était d'ailleurs bien considérée, comme l'attestent des
locutions populaires, oubliées de nos jours, mais savoureuses : "donner un
pois pour une fève" : échanger un objet de piètre valeur contre un autre,
bien plus précieux. "Rendre pois pour fève" : ne pas rendre l'équivalent de
ce qu'on vous a prêté. "Il a passé par un champ de fèves en fleurs" : il est
fou (mauvaise interprétation paraît-il, de Pline : les maladies mentales
fleurissaient, pensa-t-il, au printemps, cum faba florescit, et on aurait
pensé que c'était à cause de cette floraison… Pourquoi pas ?).
Ces expressions pittoresques sont vieillies et oubliées.

C'est qu'en gros, la fève a subi la concurrence du haricot, désignation qui
l'a supplantée pour nommer certaines plantes.
L'histoire du haricot vaut qu'on s'y arrête un moment. Le mot au départ ne
désigne pas du tout une graine, mais un plat : une sorte de ragoût
longuement revenu. On parle d'ailleurs encore aujourd'hui de haricot de
mouton. L'origine du terme est assez obscure, mais il n'est pas impossible
qu'il provienne d'un vieux verbe "haricoter" qui signifiait découper, couper
en petits morceaux … Toujours est-il qu'on a pris l'habitude d'accompagner
de fèves ces haricots, et que le mot de la viande a déteint sur le mot du
légume. Et voilà comment le haricot est devenu ce que nous savons.

Mais son destin ne devait pas s'arrêter là et le haricot a enchanté la
langue populaire. Il est devenu synonyme d'orteil (en argot, bien entendu),
ce qui expliquerait l'expression : "tu commences à me courir sur le haricot",
c'est-à-dire "à marcher sur les le doigts de pied" - mais alors pourquoi ce
singulier, le haricot ? Mystère.

Un mot sur la fin des haricots, pour dire la fin de tout. Pourquoi des
haricots ? Peut-être parce qu'un haricot était synonyme de bien peu de
choses (comme les pois de jadis, en face des fèves). Et donc par une
ironie qui inverserait les sens, la fin de pas grand chose deviendrait la
fin de tout … Possible.