TOUT
Par: (pas credité)
La fête de l'Internet a fait fleurir une expression qui pose facilement celui qui
l'emploie, même s'il ne sait pas exactement ce qu'elle recouvre : le "tout numérique"
par-ci, le "tout numérique" par-là.
Cette tournure est le sésame qui permet d'entrer sans douleur dans toute discussion sur
la communication moderne.
Mais c'est la construction qui nous intéresse et, en particulier, le fait qu'elle soit
construite sur un modèle qui a beaucoup donné ces dernières années : le "tout" ceci et
le "tout" cela.
L'exemple le plus ancien que je puisse me rappeler est le "tout électrique" (à propos
probablement de l'électrification du réseau ferroviaire), mais cette construction s'est
surtout révélée à propos des choix de sources d'énergies. L'option du "tout nucléaire",
en particulier, a été très critiquée et très défendue. Et "tout", dans ce cas veut dire
entièrement, totalement à 100%. Si la formule n'est pas totalement libre, on peut
remarquer qu'elle peut servir à des sauces assez nombreuses. Et de rappeler à notre bon
souvenir l'excellent Stelio Farandjis et son éloquence qui fait parfois un peu troisième
république : "Non au tout Ayatollah ! Non au tout coca-cola !"
Dans tous ces exemples, pas de problème d'accord : il est logique d'écrire T-O-U-T et
si le cas se présentait, on crierait avec ferveur : "Non au tout limonade !" (et non au
"toute" limonade, évidemment). Pourquoi est-ce si logique ? Parce que "tout", dans ce
cas, est adverbe.
Donc, me direz-vous, chaque fois que "tout" est adverbe, il reste invariable ? On
pourrait s'y attendre : les adverbes, en français, ne s'accordent pas.
Dans l'expression "tout entier/tout entière", par exemple. "C'est Vénus tout entière à sa
proie attachée". L'exemple est de Racine, mais cette orthographe reste encore
parfaitement en usage de nos jours.
Cette expression semble donc être en parfaite conformité avec la règle qui dit qu'un
adverbe est invariable.
Car "tout", adverbe signifiant totalement, complètement, s'accorde quand il est placé
devant un adjectif : "Il est tout nu/Elle est toute nue" ; "Un galurin tout neuf/Une
casquette toute neuve".
Cela s'entend particulièrement lorsque l'adjectif commence par une consonne :
"ma bicyclette est toute cassée" (plus probant que "ma bicyclette est toute abîmée")
Mais l'orthographe est la règle. On explique ça comme on peut, par une attraction
du féminin.
Mais attention, s'il y a accord, il n'y a que demi accord : en genre (masculin/féminin),
mais pas en nombre (singulier/pluriel) : "Ma casquette est toute neuve/Mes
chaussures sont toute neuves".
Il arrive même que "tout", avec à peu près le même sens précède un nom. On applique
la même règle : "le tout début du film, les tout débuts de sa carrière, la toute fin de la
pièce" (ce dernier exemple est familier, mais courant).
Est-ce qu'on veut terminer par une finasserie vraiment perverse ?
Comment accorder "tout" devant "autre" ?
Quand "tout" a le sens de n'importe quel, il est adjectif et s'accorde : "Rodrigue, as-tu
du coeur ? Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !"
"Chimène, as-tu du beurre ? Toute autre que ma mère l'éprouverait sur l'heure ! "
Mais si "tout" a le sens de tout à fait, il est adverbe, et là, en principe, il ne s'accorde
pas : c'est une tout autre question.
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