ROUTARD

Par: (pas credité)


Les premiers Polars du Routard viennent de sortir. Il s'agit de trois romans policiers mettant en scène un héros récurrent (comme on dit maintenant), et édité aux Editions du Routard, qui jusqu'à aujourd'hui n'avaient publié que des guides de voyage. Si elles ont si bien réussi, c'est que le guide du routard est devenu un accessoire reconnu des touristes qui ne veulent pas systématiquement se mêler à la plus grosse masse de leurs semblables. Mais dans ce contexte, le mot de routard, astucieusement choisi, a un sens très affaibli par rapport à celui qu'il avait au début des années 70.

Ce mot naît de l'écho de mai 68, alors qu'un certain nombre de jeunes gens, en rupture de ban avec la société de consommation qu'ils ont du mal à supporter, prennent la route avec un désir de liberté, d'aventure, et une quête assez mal définie en général qui les conduit souvent vers l'orient dont les traditions et la sagesse supposée séduisent. A pied, en stop ou autrement, on dit qu'ils font la route. Barbes, cheveux longs, bracelets de perles et tuniques indiennes, il ont un uniforme, et quand on ne se réfère pas précisément à leur vie itinérante, on les appelle en anglais et aussi en français des hippies, héritiers des beatniks américains des années cinquante.

Mais la démocratisation des voyages a fait qu'on a appelé routards des touristes qui, sac à dos, décidaient de passer des vacances peu organisées et de voyager à la fortune du pot. Le mot est en nette perte de vitesse, mais on peut remarquer qu'il n'a jamais eu réellement d'écho social péjoratif, contrairement à la plupart des mots qui désignent les gens qui ont un mode de vie nomade. Cela s'explique : cette vie de routard a souvent été une phase passagère pour ceux qui étaient le plus souvent issus de la bourgeoisie et dont l'origine sociale ne s'effaçait pas si facilement.

D'autres mots plus anciens ont bien sûr qualifié ces voyageurs aux semelles de vent. Vagabond par exemple, qui lui a bien souvent une implication sociale péjorative : le vagabond n'est pas loin du clochard, même si on lui trouve un charme. C'est si l'on veut l'image de Charlot et ce mot de vagabond a eu un synonyme en français totalement sorti d'usage dans ce sens qui est chemineau.
Mais la pauvreté est bien plus associée au caractère sans attache du vagabond (et du chemineau) qu'avec le terme de routard. A noter quand même la grande différence d'échos entre le nom vagabond, et l'adjectif, voire le verbe qui en dérivent. Une pensée vagabonde, une humeur qui vagabonde évoquent le charme de ce qui muse, qui a l'air d'aller au hasard, poussé par l'humeur du moment.

D'autres termes sont liés à d'autres images ou à d'autres époques. Le bourlingueur existe, mais il est moins fréquent que le verbe bourlinguer qui évoque une vie non pas exactement errante, amis pas fixes non plus qui se pose ici puis là : faire tous les métiers, passer dans toutes les villes…

Quant aux globe-trotters, anglicisme début de siècle qui désigne plutôt les pérégrinations de riches oisifs souvent d'ailleurs anglo-saxons, qui trompaient leur ennui en trottant autour du globe, ils ont pratiquement disparu.

A noter pour finir que le mot nomade, si son sens est proche de tous ceux qu'on vient d'évoquer ne s'emploie qu'à propos de groupes (peuples ou familles), alors que du routard au globe-trotter, ceux qu'on a vu aujourd'hui affichaient un individualisme farouche.