RACAILLE ET CANAILLE
Par: (pas credité)
"On est les sauvageons, pas la caillera" ! C'est ainsi que certains jeunes banlieusards ont repris en les distinguant, quelques termes qui les ont récemment désignés : "sauvageons" - l'emploi du mot de Jean-Pierre Chevènement a été très contesté mais il faut dire que la critique qu'il implique n'est pas définitive : le "sauvageon" s'amende ou s'instruit. Quand on parle de "caillera", c'est beaucoup plus négatif et insultant.
"Caillera" est le verlan (c'est-à-dire la forme à l'envers) de "racaille", vieux mot français qui signifie "rebut", homme de rien. On racle là le fond de la société, et ce mot est à rapprocher de "raclure" (= "déchet"), terme extrêmement injurieux. Le mot n'est donc pas très précis mais tout à fait méprisant. Le suffixe -aille n'est pas là par hasard et on le trouve souvent à la fin de mots péjoratifs qui désignent un collectif vague.
Ainsi "canaille", mot plus récent (XVème), qui dérive de "canem" (= chien), et qui a cohabité un temps avec "chiennaille". Le mot aujourd'hui a, en général, un sens individuel : "cet homme est une canaille". Son sens, d'ailleurs, a eu tendance à s'adoucir avec le temps : "les enfants sont des petits canaillous, quant aux bourgeois, ils peuvent s'encanailler dans les bals populaires - se donner des frissons à peu de frais en se mêlant aux Apaches".
Ce premier parfum flou se retrouve dans d'autres formations se terminant par -aille : la "marmaille", troupe d'enfants turbulents (formé sur "marmot") ; la "valetaille" : l'ensemble des valets (c'est beaucoup plus hautain) ou la "flicaille" (forcément dédaigneux). Ou même la "piétaille" : les fantassins, les soldats qui vont à pied, ceux qui sont nombreux, anonymes et peu importants (sinon par leur masse). L'individu est donc clairement dilué dans le nombre, plus ou moins ordonné. Et on retrouve cette idée dans "pagaille".
Et pourtant ce n'est peut-être qu'un hasard qui a, après coup, réinvesti ce mot de tout ce sens désordonné. Car, au départ, la "pagaille" ou "pagaye" naît tout simplement de la "pagaie", cette rame de pirogue à double pelle dont les néophytes se servent de façon irrégulière et embarrassée. Plus techniquement, l'expression actuelle aurait son origine dans la locution "mouiller en pagaye" : laisser tomber l'ancre à l'aveuglette, là où on a décidé de stopper son bateau. On a dit ensuite "jeter en pagaye" pour jeter sans soin, au hasard, des objets dans la cale d'un bateau.
Quant à la "boustifaille", "mangeaille", "ripaille", on n'aura probablement pas le temps d'en parler mais elle aussi évoque une abondance sans apprêt.