PENCHANT ET INCLINATION... EN REGARDANT LA TOUR DE PISE

Par: (pas credité)


Elle penche, la Tour... De plus en plus ? Pas forcément, puisqu'on s'en soucie. Ainsi un congrès international se réunit les 8 et 9 juillet pour présenter les résultats des recherches menées pour la consolider. Et le comité de sauvegarde espère redresser la tour de 35 à 40 cm d'ici l'an 2000. Est-ce compromettre son avenir linguistique et métaphorique ? Il est déjà solidement ancré dans les habitudes. Pourtant la Tour de Pise n'est pas une valeur montante de notre argot. Mais c'est comme ça que dans les années 50, on avait coutume de désigner une personne qui avait une forte attirance pour la bouteille. Souvent entre deux vins, avec un petit "air penché", on pouvait dire de celui qui ne marchait pas souvent droit : "c'est laTour de Pise, il est comme la Tour de Pise".

L'image de ce qui "penche" a de toute façon depuis longtemps des sens figurés en français.
Ce sens est très ancien puisqu'au XIIIème siècle, "se pencher" était déjà synonyme d'"être favorable". "Pencher pour", c'est "avoir une préférence pour"… et l'expression s'emploie notamment dans le cas d'une alternative : "je penche pour la solution forte ; moi je pencherai plutôt pour la négociation".

"Avoir un penchant" désigne une orientation plus permanente, et non une préférence ponctuelle et circonstanciée. Le sens amoureux est fréquent, souvent employé de façon plaisante et ironique : "il s'est découvert un penchant pour Bernadette" = elle lui plaît. Le mot s'emploie également dans un usage plus général, qui n'a pas de rapport avec les sentiments amoureux. Mais là aussi, son usage est souvent plaisant : "il a un penchant pour la chopine" = il a tendance à boire.
Le sens propre de "penchant" le rapproche bien sûr d'"inclination", qui vient d'"incliner". Mais attention, on a là une paire de mots, "inclination" et "inclinaison" qui n'ont pas le même emploi.
"Inclinaison" garde sa signification littérale : "inclinaison d'une pente", de la Tour de Pise Alors qu'"inclinaison", depuis l'époque classique a le sens de "tendance", "goût naturel" - on parle d'ailleurs d'"inclinaison naturelle" : "j'ai une certaine inclination pour le calme de la campagne". Bien sûr, le sens amoureux, là encore a pris le dessus - et depuis longtemps : souvenons-nous de la "Carte du Tendre", cet itinéraire amoureux idéal qui naît dans la littérature précieuse du début du XVIIème siècle avec Mlle de Scudéry et ses amis. Tendre sur "inclination" y est une étape importante.

L'adjectif "enclin" est bien sûr de la même famille, mais il a évité l'écueil amoureux. Il signifie spontanément "poussé à", "amené à"… "Je suis enclin à l'indulgence" = "je suis disposé à l'indulgence".

Ne terminons pas sans mentionner la "pente" qui, elle aussi, évoque un mouvement naturel, une tendance naturelle. "Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant", disait Gide, par plaisanterie, ce qui montre bien que "suivre sa pente" n'a pas très bonne réputation : c'est se laisser aller à un défaut, une propension facile : "sa pente ordinaire l'invitait à la paresse et à la facilité".