ARBITRE
Par: (pas credité)
1) L'arbitre est, au départ, une notion juridique. C'est une personne qui est choisie par un tribunal ou par les intéressés eux-mêmes pour trancher un différend : "on s'en rapporte à un arbitre". C'est donc une personne qui a pour trait dominant de prendre une décision dans un litige qui reçoit le pouvoir de choisir entre des avis divergents lequel doit être suivi. Elle a aussi généralement pour caractéristique d'être neutre et désintéressée par rapport au litige. Cf le rôle du roi dans la tradition médiévale et, par extension, la notion d'"Etat arbitre" (entre les particuliers), dans la théorie politique libérale : l'Etat est conçu comme une institution neutre, au-dessus des intérêts privés, il est censé réguler seulement les rapports entre individus. Ceci est conforme à l'étymologie latine "arbitror" : je décide.
La notion d'"arbitre" s'est étendue à des domaines variés. On a pu parler ainsi au siècle dernier de "l'arbitre des élégances" pour désigner en matière de goût celui qui fait autorité, dont on suit les avis.
La notion s'est popularisée aujourd'hui par le biais du sport. Dans de nombreuses disciplines, en effet, qui mettent aux prises deux adversaires (boxe) ou deux équipes (sports de ballon), on a recours à un (ou plusieurs) arbitre(s) chargé(s) de diriger la rencontre, en faisant respecter les règles du jeu sans lui-même y participer. Il est également choisi de façon à être neutre (par exemple en compétition internationale, il n'appartiendra à aucune des deux nationalités qui sont en compétition).
2) Le mot a produit des dérivés :
- "arbitrage" : qui désigne soit l'action d'arbitrer, soit la sentence, la décision elle-même. On dit souvent aujourd'hui "rendre son (ou ses) arbitrage(s)" pour désigner les mesures prises par une instance qui a le pouvoir de décision. Par exemple, on dira qu'au moment de l'élaboration du budget, le Premier ministre "a rendu ses arbitrages" entre les différents ministères : il a tranché pour savoir quel(s) ministère(s) aurai(en)t une priorité.
- "arbitrer" : avec un sens voisin de diriger un match, de rendre des arbitrages, de réguler les rapports entre intérêts différents.
3) Par extension et abus, le mot arbitre en est aussi venu à désigner, en raison du pouvoir qui est conféré à cette fonction, une personne qui jouit d'un pouvoir sans limite : on dira de quelqu'un qui dispose du droit de vie et de mort qu'il est "arbitre" de la vie et de la mort. Cette expression peut être rapprochée d'une acception philosophique et métaphysique du mot (étymologie légèrement différente : "arbitrer" alors que l'arbitre au sens précédent vient de "arbitrium") : l'arbitre désigne alors la faculté de se déterminer librement dans son action ou si l'on préfère la volonté.
Dans ce sens, l'expression "libre arbitre" a connu une grande faveur dans la tradition chrétienne médiévale et classique : le libre arbitre est en effet un sujet de débat qui engage en particulier la responsabilité du pécheur dans ses actes. Au XVIème siècle, à l'époque de la Réforme, il y eut une vive controverse sur le "libre arbitre" (Erasme) et le "serf arbitre" (Luther) entre ceux qui pensent que l'homme est libre et ceux qui pensent qu'il est prédestiné.
Quoiqu'il en soit, la notion d'"arbitre" comprise comme action autonome de la volonté qui implique l'idée de liberté, implique aussi l'idée de "pouvoir faire" sans être déterminé par des causes, d'où l'idée de "faire sans motif" : exemple la notion d'acte gratuit (sans cause) vulgarisé par Gide (Lafcadio dans les Caves du Vatican), qui peut être considérée comme le degré ultime du libre arbitre (le plus haut et le plus bas).
On voit alors comment on peut passer d'"arbitre" à "arbitraire" (et "arbitrairement") : quoi de plus "arbitraire" qu'un acte gratuit ? Trois acceptions se recoupent dans ce mot :
- pouvoir de décider
- décision sans motif
- par extension, pouvoir despotique, c'est-à-dire où la volonté sans limite aboutit à la tyrannie.