PILORI
Par: (pas credité)
Notre ministre cloué au "pilori"… C'est Jean-Pierre Chevènement qui l'a dit, à propos de Dominique Strauss-Kahn. C'est, bien sûr, au figuré qu'il faut prendre l'expression qui signifie que quelqu'un est montré du doigt, qu'on l'expose au blâme et à la vindicte populaire. L'expression est figée, journalistique, et personne ou presque n'en comprend le sens propre.
L'origine du mot "pilori" est obscure, mais il semble que le mot soit de la même famille que "pilier". En tout cas, c'est au départ une sorte de poteau de torture (cf. bien sûr "les ayant cloués nus au poteau de couleur", poteau et couleur étant une sorte de décomposition du mot "pilori", ce qu'atteste le verbe "clouer" qui précède).
C'était un privilège de certains seigneurs du Moyen âge que d'élever des "piloris", sortes de pieux grossiers érigés sur les places de village. Des condamnés y étaient attachés par des colliers de fer. A Paris, on voyait plus grand : le "pilori" situé au milieu de la Halle aux poissons, par exemple, était une tourelle à un étage. Le prisonnier était placé sur un cercle de fer qu'on pouvait faire pivoter sur lui-même, pour exposer, spécialement les jours de marché, le condamné aux regards du peuple. Cette peine ne fut abolie qu'à la Révolution ; encore faut-il savoir que le carcan et l'exposition publique ne furent abolis qu'en 1848.
Ce type de peine, uniquement basée sur l'humiliation publique, était en fait à double tranchant, puisque par exemple, à Londres en 1703, le romancier Daniel Defoe, fut au "pilori" acclamé par la foule.
Le problème linguistique tient alors au verbe "clouer", totalement illogique dans l'expression : les malheureux n'étaient pas cloués. Le Christ par contre l'était, et il est certain que c'est cette image du crucifié, point ultime de l'exposition à la populace, qui vient contaminer celle du "pilori". On signale d'ailleurs un tableau de Glaize, intitulé "le pilori", qui représente un groupe de génies qui ont été incompris de leur temps et méprisés, ou tout au moins désignés comme coupables par l'autorité politique. Jésus est au centre, entouré de quelques joyeux drilles en avance sur leur époque, ou en délicatesse avec le pouvoir : Socrate, Galilée, Jeanne d'Arc, Christophe Colomb…
D'autres expressions existent, plus ou moins actuelles, comme "traîner sur la claie", ou même "stigmatiser", verbe étrange au destin hors-série.
"Stigmatiser" signifie au sens propre imprimer des "stigmates" à quelqu'un. Et ces "stigmates" évoquent en premier lieu ceux du Christ, les blessures que lui inflige son supplice : aux mains, aux pieds, au flanc. Ces signes de sa condamnation sont devenus les signes de sa gloire, de sa mort pour racheter les pêchés du monde.
Mais le mot "stigmate" a continué d'être utilisé au sens de marque infamante, en particulier quand on marquait les condamnés au fer rouge - pour inscrire leur infamie dans leur corps et en rendre la trace indélébile.
Et aujourd'hui, le verbe "stigmatiser" est d'emploi dans le sens de dénoncer publiquement.
Bizarrement d'ailleurs, si l'on continue à "stigmatiser" quelqu'un, on "stigmatise" aussi quelque chose : la malhonnêteté ou la corruption.