TRACE
Par: (pas credité)
Les aventures de la vache folle, pour inquiétantes qu'elles soient, ont au moins permis de faire toussoter le linguiste devant un néologisme né en français dans l'étable de l'ESB : la "traçabilité", le mot qu'on rumine le plus dans les chaumières, les dîners en ville et le ministère de l'agriculture. Le sens est pourtant simple : la "traçabilité" d'un animal est la possibilité de reconstituer à reculons toute sa vie en partant d'une étape quelconque pour remonter à sa naissance : on remonte, par exemple, depuis l'onglet à l'échalote que vous sert le garçon jusqu'au vêlement primitif qui donna naissance à l'animal. Et cette "traçabilité" est l'une des conditions exigée par la Commission européenne pour lever l'embargo qui touchait la viande de bœuf britannique.
Une chose en tout cas est sure : ce mot est d'origine anglo-saxonne : sa "traçabilité" l'atteste. Le mot "trace" n'a rien d'un emprunt à l'anglais, mais il est une acception qui appartient au verbe anglais "to trace", et pas au verbe français "tracer". "To trace a call", par exemple, signifie retrouver d'où provient un appel téléphonique, remonter la filière qui va du destinataire à celui qu'on appelle, et donc être capable d'identifier un coup de fil anonyme.
La formation du mot sent fortement sa bureaucratie et son jargon : on parle de "traçabilité" comme de faisabilité, de divortialité, de conflictualité… Mais, à part ça, il faut bien avouer que le sens du mot est absolument conforme à son origine, et se comprend fort bien de façon spontanée.
"Trace" et "tracer", qui dérivent indirectement du latin trahere, tirer, trouvent leurs premiers sens, en ancien français, dans le langage de la chasse. "Tracer" signifie "suivre à la trace", remonter une piste. La "traçabilité" est donc la possibilité de "tracer", au premier sens du mot. Et d'interpréter les "traces", c'est-à-dire les signes qui témoignent d'un passage, d'une présence : empreintes, branches brisées, herbe foulée, odeur…, un savoir-faire qui conjugue expérience et instinct, et nous fait remonter à l'aube de l'humanité. Et le mot "trace" représente souvent le signe de quelque chose ou de quelqu'un, l'indice qui permet d'inférer son existence : "Traces de vie sur Mars ? le dossier rebondit" ou au contraire "aucune trace de Charles. Il n'a pas dû venir".
De "tracer" à "traquer", il n'y a que quelques pas, et ce dernier verbe est de la même famille que notre "trace", avec, dès le départ, le sens (entre autres) de chasser un animal sans lui laisser d'issue. Ce qui explique les sens figurés d'aujourd'hui : pourchasser impitoyablement (et souvent avec un côté un peu obsessionnel : "traquer" la faute d'orthographe) ; un regard, une expression de bête "traquée" : aux abois, terrorisée.
Mais revenons à nos "traces", pour repartir sur un tout autre sens figuré. On suit les "traces" de quelqu'un pour le trouver, peut-être, mais aussi pour l'imiter. Il suit les "traces", marche sur les traces de son illustre aîné, c'est-à-dire il a les mêmes qualités, les mêmes comportements, les mêmes succès.