EN TEMPS REEL

Par: (pas credité)


L’expression s’entend beaucoup, et un peu à toutes les sauces, ce qui fait que parfois on ne saisit pas très bien ni son sens premier, ni son emploi métaphorique. Cette locution nous plonge dans la pratique informatique, qui tend à supprimer les délais entre un ordre donné et son exécution. Ce qui permet de dépasser le paradoxe apparent de l’expression : si vous donnez un ordre à votre ordinateur, il est exécuté au moment même où il est reconnu par la machine. Il n’y a donc pas de temps propre réservé à l’exécution.

Expliquons-nous : si un capitaine dit à son ordonnance : "Wozzeck, cire-moi mes bottes !" L’ordonnance zélée mettra malgré tout un certain temps à faire ce qui lui est demandé : un temps concret, un laps inévitable. C’est ce laps qu’évite le cirage assisté par ordinateur : aussitôt dit, aussitôt fait. Ce "temps réel" a donc quelque chose d’étrange, dans la mesure où il supprime la réalité du temps.

Prenons un autre exemple qui va nous expliquer les bienfaits de ces nouvelles techniques : vous écrivez un texte dans lequel il est, à chaque pas, question d’événements et d’imbécillités. Saisis d’un remords, vous décidez d’adopter les nouvelles normes orthographiques (facultatives), et vous souhaitez parler d’évènements et d’imbécillité. Vous rentrez une fois pour toutes votre correction dans la machine qui l’intègre immédiatement pour toutes les occurrences des deux mots – alors qu’à la main, la même correction aurait nécessité que chaque mot visé soit tour à tour modifié. Cette correction s’est faite "en temps réel".

On comprend mieux alors comment cette tournure déborde du simple contexte informatique et se retrouve métaphoriquement dans bien d’autres circonstances, plus ou moins éloignées de son sens littéral. Les services d’information sur la bourse "en temps réel", par exemple, proposent que leur utilisateur suive les variations des cours au moment même où elles se produisent. Il n’y a plus à attendre la clôture de la séance ou le bulletin boursier : on est face au résultat comme à la corbeille. Vous passez l’épreuve d’un examen : vous aurez le résultat "en temps réel" si l’examinateur, après votre dernier mot, vous dit OK ou pas. (Cf permis de conduire).

"In real time" est bien le titre d’un spectacle de danse présenté au Théâtre de la Ville par Anne-Teresa de Kersmaeker. Interrogés sur le sens du titre, les artistes ont mis en avant l’interaction immédiate entre les danseurs, les comédiens et les musiciens qui peuplent le plateau.
Et l’expression fait de plus en plus image : la concertation "en temps réel" renvoie à une idée de concertation permanente, à tous les niveaux de la réflexion et de la prise de décision.
Et la presse, il y a quelques jours, parlait de justice "en temps réel" à propos des procédures de flagrant délit, qui se tiennent très peu après que le délit –dûment constaté, donc pas besoin d’enquête supplémentaire– ait été commis.
Cette tournure est donc assez proche d’une autre, qui nous vient de la radio et de la télévision : "en direct", qui s’oppose à "en différé" : si on voit le match au moment où il se joue, on le voit "en direct". Si on le voit après, il est "en différé". On s’est parfois moqué de l’expression "en direct live" comme si elle était pléonastique. Il s’agit parfois d’une exagération comique pour dire "en vrai direct". Mais ce sabir a, au départ, un autre sens : un spectacle "live" est un spectacle enregistré en public. "En direct live" signifie donc "en direct et en public".