LA FAUTE A VOLTAIRE

Par: (pas credité)


« C’est la faute à Voltaire »… titre d’un film qui sort actuellement en France. La faute à Voltaire, une faute de français, mais une faute célèbre, une faute cultivée, en un mot, une faute bien française. Le gallicisme jusque dans la faute, en voilà du génie français.

Faute, faute… c’est bien vite dit. D’abord, personne ne dit c’est la faute de Voltaire (c’est d’un beauf !). Ensuite, on voudrait dénier à la préposition à le droit de signifier un rapport d’appartenance (le chapeau à mon père, le bibi à ma mère). Soit, mais deux précisions ne feront pas de mal :

- La préposition à est incorrecte au sein d’un complément de détermination (la voiture à Raoul). Mais elle est possible et même obligatoire au sein d’autres tournures syntaxiques (cette voiture est à Raoul). Et elle est également de mise devant un pronom (à qui la faute ? il a un style à lui…).

- La tournure incriminée est présente dans un français populaire assez ancien, de sorte qu’elle s’est gardée dans quelques expressions figées : on a volé (la bague à Jules, une bête à bon dieu) voire hypochoristiques (un fils à Papa, un chienchien à sa mémère…).

Passons maintenant au vif du sujet. Cette citation a acquis une gloire nationale grâce à Victor Hugo : dans une scène très célèbre des Misérables, Gavroche, sur les barricades de 1848, se jouant des balles jusqu’à sa mort, improvise à partir d’un refrain célèbre :
« Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire.
Le nez dans le ruisseau
C’est la faute à Rousseau ».

On raconte (Laroussse, cité par J.-Cl. Bologne) que tout ça remonterait à la fantaisie d’un prédicateur qui aurait baptisé Voltaire son bonnet, et Rousseau sa tabatière. Faute d’avoir sous la main les deux philosophes, il haranguait ses deux objets familiers et l’histoire se serait répandue. De là, l’habitude de rendre ces deux penseurs des Lumières responsables de tous les maux. Et en particulier, pour les esprits royalistes, de la Révolution dont ils avaient fait le lit. Nous sommes donc maintenant sous la Restauration, et le chansonnier Béranger moque cette manie de prendre Voltaire et Rousseau comme boucs émissaires :
« Si tant de prélats mitrés
Successeurs du bon Saint-Pierre
Au Paradis sont entrés
Pas Sodome et par Cythère,
Des clefs s’ils ont un trousseau,
C’est la faute de Rousseau,
S’ils entrent par derrière,
C’est la faute de Voltaire. »

Et c’est un autre chansonnier, Desaugier qui, paraît-il, a repris ce thème agrémenté de la célèbre variante :
« Si le diable adroit et fin
A notre première mère
Insinua son venin,
C’est la faute à Voltaire.
Si le genre humain dans l’eau
Pour expier son offense
Termina son existence,
C’est la faute à Rousseau. »

Tout cela cité par Jean-Claude Bologne, Les Grandes Allusions, Larousse 1989.