SOUPIRANT
Par: (pas credité)
Pour la Saint-Valentin, cette fête des amoureux mi-nunuche, mi-rétro, qui n’évoqua longtemps que Peynet et son charme désuet, pour la Saint-Valentin donc, remise à l’honneur par l’esprit de lucre toujours actif de quelques commerçants en mal de réclame, pour la Saint-Valentin, parlons des amoureux.
Et commençons, par quelques mots un peu désuets, qui colleront au sépia du sujet.
Le soupirant, mot aujourd’hui presque toujours ironique, c’est celui qui soupire, qui aspire, qui désire après sa belle. Le soupir est donc l’image, sonore et pulmonaire, d’un manque. Cf Mon cœur soupire, traduction française de l’air célèbre de Chérubin Voi che sapete… Le soupirant est donc celui qui n’a pas ce qu’il veut, et le mot est en fait très chaste : le soupir, paradoxalement, désigne le désir inassouvi plus que le désir récompensé.
Ce n’est pas la seule contradiction de ce langage amoureux, puisque le soupirant, cet amoureux aux petits soins, prévenant et respectueux qui attend qu’on lui dise oui, est souvent comparé à l’amoureux transi. C’est-à-dire celui qui brûle d’amour, mais qui n’ose pas déclarer sa flamme – en tout cas qui n’ose pas être très entreprenant, tant la timidité le pétrifie. On aurait tendance à penser que cette timidité le glace, et qu’ainsi il est transi de froid. Mais attention, si le verbe transir n’évoque pas au départ le froid : transir veut d’abord dire mourir, puis être stupéfait, saisi, pétrifié. Et bien que l’on se fige souvent sous l’effet du froid, souvenons-nous aussi que c’est transir qui est à l’origine du mot transe. Etre transi serait donc plutôt être dans un état second.
Le chevalier servant est-il un amoureux transi ? Expression là aussi désuète, qui évoque une idéologie d’amour courtois, où un homme se met au service de la dame de ses pensées, tout en honnissant celui qui mal y pense.
Il est grand temps maintenant de parler de l’amoureux, l’amoureux tout court, transi ou pas. Le nom existe comme substantivation de l’adjectif. J’ai été au cinéma avec mon amoureux renvoie à un langage plutôt enfantin, mais c’est parfois aujourd’hui, chez les adultes, une coquetterie plaisant pour dire mon Jules.
Le mot est ancien, et appartient au vocabulaire galant et littéraire du 17e siècle notamment. On rappellera la distinction bien connue de tous les manuels scolaires entre amant et amoureux dans la langue classique : l’amant aime et est aimé (Rodrigue) ; l’amoureux aime en vain (Don Sanche). Inutile de préciser (c’est justement pour ça qu’on le fait) qu’aucune connotation sexuelle ne vient polluer ces beaux mots, et les jeunes premières parlent sans honte de leur amant (enfin, il faut quand même qu’elles se soient un peu lâchées : Rome à qui ton bras vient d’immoler mon amant). Dans la langue contemporaine, les deux mots ne sont pas vraiment symétriques, mais l’amant a une implication clairement sexuelle : on ne parle pas des amants de Peynet.
Une curiosité à côté de laquelle je m’en voudrais de passer : le sigisbée, trop délaissé hélas ces derniers temps. Le mot est emprunté à l’italien, et il désignait à l’origine (Venise – 18e siècle) le chevalier servant d’une femme mariée auprès de laquelle il remplace le mari (complaisant ? occupé ailleurs ? en tout cas au courant). Et derrière le sigisbée, en piaffant, le patito attendait son tour.