GRUYERE ET PASSOIRE

Par: (pas credité)


PARLER AU QUOTIDIEN DU 21 JUIN 2001

On nous rebat les oreilles de cette information inquiétante : le sous-sol parisien est un vrai gruyère. Inutile de se lécher les babines : rien de bien comestible là-dedans : cela signifie simplement que le sous-sol de la capitale française est plein de trous. De nombreuses carrières souterraines, on a extrait du calcaire, ou du gypse, depuis le Moyen-âge. Et puis, on a percé les égouts et le métro. Sans parler des milliers de tuyaux en tout genre qui se croisent sous nos pas… « Un gruyère », vous dis-je.

Pourquoi un gruyère, alors que ce mot désigne un fromage ? Parce qu’on se représente ce fromage comme troué de partout. Ce qui n’est pas tout à fait vrai : le gruyère n’est pas si percé que ça ; ce serait plutôt l’emmenthal, autre fromage voisin.

Mais, le mot gruyère est plus fréquent, au point qu’il a presque fini par désigner tous les types de fromages qui lui ressemblent – trous ou pas trous.

A l’inverse, il y a un autre élément à trous qui véhicule des valeurs très différentes : la passoire. Ainsi, lorsque le cow-boy tire tous azimuts, il transforme en passoire la porte du saloon ou son adversaire…

La fonction d’origine de la passoire est de retenir les denrées solides, en laissant s’écouler les liquides. La passoire est le préliminaire du séchage, et retient ce qui doit être retenu.

Pourtant, son utilisation figurée va accentuer la fonction inverse. La passoire désigne ce qui devrait retenir, et qui hélas, ne retient pas. Une frontière mal gardée, une prison poreuse sont de vraies passoires si les contrebandiers la traversent, ou que les détenus s’en évadent.

Et plus étrange encore, lorsqu’il pleut et qu’on est recouvert d’un imperméable insuffisant, ou protégé par un parapluie usé et inefficace, on peut dire parfois, « je suis transformé en passoire ». Illogique, certes… mais on l’entend.