GRAIN

Par: (pas credité)


PARLER AU QUOTIDIEN DU 19 JUILLET 2001


« Un grain de bon sens » : le mot grain est ici utilisé au sens figuré. Car un « grain » au sens propre, c’est la granule, le fruit comestible des graminées : le « grain de blé ». Mais au sens figuré, le mot grain entre dans quantité d’expressions courantes, où il suggère l’idée d’une quantité infime, d’une nuance, d’un soupçon. On peut dire de quelqu’un qu’il a « un petit grain de fantaisie », ou encore « il entre un grain de vanité dans le comportement de Marie-Jeanne ». Le mot grain, généralement précédé de l’adjectif « petit » sert, dans ces expressions à désigner un trait de caractère qui n’existe qu’à dose « homéopathique ».

Attention, il est bien d’avoir un « grain de fantaisie », mais il est peu recommandé d’avoir « un grain ». Employé absolument, c’est-à-dire sans l’ajout d’aucun complément de nom, le mot grain acquiert un sens très différent. Il signifie « être un peu fou ». Mais enfin, ce n’est quand même pas une folie bien grave, ce n’est pas de la démence profonde. Pourquoi le mot « grain » pour désigner la folie ? Soit par ellipse (« il a un grain » pour « il a un grain de folie »), soit par contamination avec d’autres formules qui utilisent le mot grain pour désigner un élément parasite qui fait dysfonctionner un ensemble, comme « le grain de sable ou de poussière qui bloque des rouages » : le grain, ici, c’est la cause d’un mauvais fonctionnement. « Avoir un grain », c’est donc être « dérangé », à tous les sens du terme.

Le mot, dans tous ces usages métaphoriques, garde toujours une connotation plutôt plaisante. Puisque par définition, il est toujours associé à l’idée de petitesse et donc à quelque chose qui a un caractère insignifiant, sans conséquence. Parfois simplement un peu gênant comme « ce grain de sel » que ceux qui se croient spirituels veulent mettre partout. « Un grain de sel » : l’expression à l’origine n’a rien de péjoratif, c’est un trait d’esprit, un mot d’humour, qui pimente -comme le sel pour un plat- une conversation. Mais dans l’expression « mettre son grain de sel », les choses sont différentes et l’expression est péjorative ; cela signifie se mêler de toutes les conversations, donner son avis, aussi insignifiant soit-il, sur tous les sujets, sur lesquels on ne vous sollicite même pas.

Tous ces grains, on l’a dit, sont métaphoriques, ils n’ont de rapport avec le grain réel que leur insignifiance (de la même façon, on dira « qu’est-ce qu’un grain de sable dans le désert ? »). Mais le mot grain peut encore désigner par analogie bien d’autres choses. On se sert par exemple de ce mot pour caractériser les aspérités grenues d’une matière, d’une surface. C’est ainsi qu’on parlera du « grain d’une peau », c’est-à-dire de sa texture plus ou moins fine. C’est aussi le mot qu’on utilise pour caractériser la finesse d’un cuir, ou encore d’un papier (cf papier Canson : le grain est alors une unité de mesure. Même chose pour le papier photographique).

L’utilisation la plus curieuse du mot, c’est le « grain » qui mouille. « Il va y avoir un grain », dit le marin breton en scrutant l’horizon. Le grain, en ce sens, c’est un vent violent, de courte durée qui s’élève soudainement et qui est généralement accompagné de précipitations. Le mot apparaît pour la première fois chez Rabelais. Il a, sans doute, été utilisé par analogie, un « grain » a la forme des grêlons qui peuvent tomber eux aussi violemment pendant un orage. Dans le langage courant, le mot est encore utilisé, et pas seulement par les marins, il désigne une averse soudaine, une brève ondée.

C’est à ce sens du mot grain, contrairement à ce qu’on pourrait penser, que se réfère l’expression « veiller au grain » qui signifie « se préparer à recevoir et à parer le grain ». Et non pas du tout, comme il semblerait logique de le penser, « veiller à son grain » = « veiller à son bien ».