RIEN DE RIEN

Par: (pas credité)


PARLER AU QUOTIDIEN DU 24 OCTOBRE 2001

C’est le titre d’un spectacle qu’on donne actuellement au Théâtre des Abbesses à Paris, un spectacle de Sidi Larbi Cherkaoui.

« Rien de rien » : l’expression est intéressante. C ‘est un intensif de rien. Et pas une formule intensive si fréquente que ça. Mais amusante parce qu’elle s’explique assez peu par la logique. Elle se comprend par la répétition. La répétition est un moyen d’intensifier un propos : rien, rien rien. Comme on peut dire au lieu de « Tu as les yeux très bleus », « tu as les yeux bleus, bleus bleus ».

Mais là c’est autre chose : non seulement rien rien mais rien de rien : rien extrait de rien. On est tout de suite dans un concentré du rien : le rien au carré. Comme si l’on parlait du vide du vide ou de l’absence de l’absence… Alors attention, le sens de la phrase ne se retourne pas (alors qu’en toute logique, l’absence de l’absence, c’est la présence …).

Etymologiquement, c’est d’autant plus étonnant que le mot rien a vu son sens se retourner avec le temps. Rien, c’est au départ la chose – rem en latin. Et le mot ne s’est d’abord utilisé qu’à la négative : ne rien, c’est-à-dire aucune chose. Mais en français moderne – et déjà, depuis bien longtemps – rien a conquis son autonomie, est devenu un mot à lui tout seul. Et toute cette complication, cette ambiguïté n’est pas là par hasard : ce n’est pas facile de dire le manque, l’absence, la non-existence. Il faut passer par ce qui est, puis le nier, dire qu’il n’existe pas, qu’on veut signifier le contraire.

Rien de rien veut donc dire absolument rien, rien du tout. Ah ah. Voilà qu’on retrouve une autre expression de même sens et qui en est absolument le symétrique inverse. Rien du tout. Vous me direz bien sûr que c’est l’adaptation d’une façon de dire qui existe ailleurs : la tournure « du tout » sert à intensifier une négation : pas du tout = absolument pas. Et même parfois, par ellipse, on ne dit plus « pas ». Vous êtes perdu ? Du tout, du tout, mais je suis un peu étourdi…

Un mot pour finir, de la tournure chérie des jeunes d’aujourd’hui : « de chez… » Grave de chez grave… Dont l’origine est probablement à trouver dans certaines formulations des parfumeurs : « 5 » de chez Chanel, « Gin fizz » de chez Lancôme. Le tout glosé de façon humoristique par Queneau dans « Zazie dans le métro ». « Barbouze » de chez Fior.