ESCALIER

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

L’actualité du Festival de Cannes nous force à entendre tous les jours un certain nombre de clichés ; dont par exemple le fameux « monter les marches… », monter l’escalier du palais du festival. Et ce qui est à la fois une réalité, une image, un cliché et un symbole donne un relief particulier à ces quelques degrés… On y voit ceux qui montent… on les voit quelques secondes, pour peu qu’on se soit posté aux abords du fameux escalier, on les voit sans qu’ils vous regardent, on les voit quasiment de dos… Et pour une fois, le cinéphile anonyme n’est plus dans la position du spectateur, mais plutôt dans la position de la caméra. C’est lui l’auteur de ce plan rapide, où la star se fait voir sans avoir l’air d’y toucher… du vrai cinéma.

Et si les marches du palais du festival sont un accessoire indispensable du mythe cannois, cela nous donne le prétexte d’interroger ces mots : escalier, marches…

Escalier est, au départ, un mot noble en français. Et un mot tardif, qui apparaît à la Renaissance pour désigner en premier lieu les degrés de pierre des demeures. Alors comment disait-on auparavant ? Une montée, tout prosaïquement. Ou bien des degrés (on y reviendra).

Aujourd’hui, ce mot d’escalier est bien banal, et il désigne n’importe quelle volée de marches, qu’elles soient en bois ou en briques…

Une particularité de langue intéressante : quand David Lynch, Woody Allen, ou Dieu sait quelle starlette, monte les marches du palais du festival, on ne dira certainement pas « il est dans l’escalier ». Car « être dans l’escalier » renvoie à une position particulière, à l’intérieur d’un immeuble, en fait dans la cage d’escalier… ce qui explique cette étonnante préposition : « la concierge est dans l’escalier » et « Nicole Kidman monte les marches »…
Que dis-je «elle monte les marches… » ; « elle gravit les marches ». Le mot est plus noble, plus élégant, plus littéraire ; ce qui est étrange car, à l’origine, le verbe gravir s’emploie dans le sens de monter difficilement, escalader, en s’aidant de ses mains, voire de ses griffes… Seulement, on dit également gravir les échelons... le mot prend là un sens symbolique… si, gravir c’est monter dans la hiérarchie, de la gloire ou du pouvoir, c’est une montée noble même si, parfois, elle est lente et laborieuse. Donc elle acquiert, par là même, une dignité dont on se souvient face à l’escalier du palais des festivals.