MAIN COURANTE

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Trois morts sur « mains courantes ». Titre insolite qui barre l’une des pages du quotidien Libération d’hier. Et qui rappelle qu’un père a tué ses deux enfants avant de se suicider, alors que la mère avait, à deux reprises alerté les services de police sur les dangers que son mari faisait courir à sa famille. Deux visites au Commissariat qui s’étaient soldées par deux « mains courantes ». Qu’est-ce que c’est que ça ? Ce sont les traces que laisse celui qui se rend auprès de la police pour signaler un fait, se plaindre, en appeler à la force publique. Il y a dans ces interventions des degrés bien sûr. On peut porter plainte, « déposer » une plainte quand on estime qu’on a été victime d’un préjudice. (On peut d’ailleurs retirer officiellement sa plainte par la suite, si la procédure entamée n’est pas achevée). Ou alors, on se contente de signaler certains faits à la police. Quand les faits semblent moins graves, ou que tous les éléments ne sont pas réunis pour déposer une plainte, ou que simplement, on estime qu’elle n’a que trop peu de chances d’aboutir, ou même qu’on ne veut pas « aller jusque là ». En effet, une plainte est susceptible ensuite d’être transmise au parquet, et si le juge l’estime nécessaire, une procédure sera lancée.
Mais la main courante est simplement l’explication sommaire que donne le plaignant au policier qui le reçoit. Tout ça est consigné dans un registre. Et dans le langue usuelle, on appelle main courante aussi bien le registre que ce qu’on a inscrit dessus. Pourquoi main courante ? C’est écrit à la main. Et c’est écrit un peu comme ça vient. On a dans cette expression un souvenir d’une autre : écrire au courant de la plume sans recherche littéraire, sans repentir, sans qu’on revienne sur ce qu’on vient de mettre. La trace est là, mais elle a un caractère moins officielle que dans d’autres écrits. On a le sentiment que cela traite des affaires courantes justement. C’est à dire celles de la vie qui va, du flux divers qui secoue toujours un peu, mais rarement trop méchamment la vie en société. Pas de quoi fouetter un chat quoi ! tout ça est considéré comme relativement peu important. Les affaires de la vie, de la vie courante justement. On voit bien que cet adjectif donne l’idée du mouvement de la vie : en courant ? comme en passant ! Et dont on se sert de façon ordinaire. C’est bien ce qui choque justement quand justement une telle affaire a des prolongements dramatiques, qui auraient peut-être pu être évités.
Courant a donc le sens de « usuel », fréquent, qui n’est ni rare ni étonnant.
On retrouve ainsi ce mot dans d’autres expressions : compte courant, dans le monde bancaire : le compte dont on se sert tout le temps, pour payer les dépenses de tous les jours, se faire virer son salaire et payer le téléphone.