GROS POISSON ET MENU FRETIN

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Slimane Khalfaoui est-il un gros poisson ? Il a été arrêté voici quelques jours, soupçonné d’appartenir à l’organisation Al-Qaïda. Et la presse se demande justement s’il s’agit d’un gros poisson, c’est à dire d’un personnage important de cette organisation. Cette image est très fréquente dans l’argot journalistique et d’abord dans l’argot policier. Et elle s’explique par toute une image qui décrit l’activité policière, qui est celle de la pêche. Lorsque les policiers recherchent quelqu’un, un suspect, un criminel, ils se comparent à des pêcheurs. Patience, instinct, à-propos… telles semblent être les qualités qu’ils revendiquent. Comme le pêcheur qui attend derrière sa ligne. Et en effet, quand ils tendent un piège, ils attendent que le suspect « morde à l’hameçon ». Mais la plupart du temps, plutôt que de recourir à l’image de la pêche à la ligne, c’est au filet qu’on pense. Comme les pêcheurs qui laissent derrière eux dériver leur filets avant de les relever, pour se saisir de tous les poissons qui se seront pris dedans. Et justement les filets permettent d’estimer la taille des poissons qu’on veut prendre. Bien souvent on ne veut pas des petits : il n’y a pas assez à manger dessus. Et ils ne se sont pas encore reproduits. Donc il vaut mieux les laisser en vie. Non pas par grandeur d’âme, mais parce qu’il semble plus astucieux de les laisser à leur destin. L’activité policière se décline sur le même modèle. Le gros poisson est la prise importante, convoitée : un cerveau, un décideur. Et pour remonter jusqu’à lui, bien souvent on néglige d’arrêter les séides, les personnages peu importants, le menu fretin, qui filé avec soin, pourra conduire aux chefs.
Cette expression menu fretin est quasiment figée. Elle désigne de tout petits poissons, notamment des morues. Alain Rey envisage même que la proximité de friture ait accrédité le mot. Et au départ, fretin vient d’un mot d’ancien français qui signifie débris.
Alors, on prépare pièges et ses planques en fonction de la taille des poissons que l’on souhaite retenir. Si les mailles sont larges, on ne retiendra que les gros poissons.
L’utilisation de cette image est d’ailleurs assez souple : on dit « le filet se resserre », par assimilation probable avec « l’étau se resserre » C’est qu’on serre de plus près celui qu’on veut captiver. Mais malgré ça, s’il s’échappe, on dit alors qu’il est passé « entre les mailles du filet ».