ABIME

Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

On reprend, en ce moment, un charmant petit opéra de Benjamin Britten, ce célèbre compositeur anglais, intitulé « Faisons un opéra ». Et, en effet, le sujet de cet opéra est l’élaboration et la mise en scène d’un opéra. Il y a, donc, un opéra dans l’opéra. Et c’est un procédé qu’on retrouve très souvent : on ne compte plus les films dont le sujet principal est le tournage d’un film, de Helzapoppin, chef d’œuvre burlesque, à la Nuit Américaine de François Truffaut : c’est du cinéma dans le cinéma. Et au théâtre, la situation se retrouve peut-être plus souvent encore… C’est ce qu’on appelle le théâtre dans le théâtre, dont on trouve des exemples dans de nombreuses pièces de Shakespeare, (Hamlet, Le Songe d’une nuit d’été…).

Cette sorte de répétition en miroir est parfois dénommée mise en abyme… une expression qui n’est pas si ancienne : on en connaît l’origine et l’auteur : c’est le romancier André Gide qui l’a inventée, et qui la cite dès 1893. Ses préoccupations littéraires en donnaient un bon exemple, puisque le roman Les Faux-Monnayeurs met en scène un écrivain en puissance qui s’escrime sans grand succès à mener à bien un roman intitulé « les Faux-Monnayeurs ».

Gide, cultivé et parfois un peu précieux , retourne à l’étymologie et orthographie sa trouvaille avec un y. Mais cette abyme a la même origine que l’abîme, qui désigne la profondeur de l’océan et, par extension, un gouffre très profond. L’image grecque est plus saisissante encore, puisqu’elle évoque un trou non seulement profond, mais sans fond : a-bussos.

C’est, bien sûr, de là que nous vient notre verbe abîmer : s’abîmer, c’est au départ tomber dans un gouffre, et notamment dans le gouffre du mal ou du vice. Le mot a souvent été moralisé, de même que l’abîme a souvent désigné l’Enfer, en ancien français.
Hélas, le mot s’est largement affaibli, puisque abîmer a voulu dire précipiter dans un gouffre sans fond, ruiner, puis simplement endommager… « Arrête ! Tu vas m’abîmer mes affaires ! »