TROPHEE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras
Qu’est-ce qui fait courir le monde ? Le « Trophy », raid sportif et humanitaire ! Je vous demande un peu ! (Enfin n’exagérons pas : tout le monde ne court pas…) Mais ça indique bien quel effet de mode entoure ce mot de trophée (ou plutôt de trophy), qui doit une bonne partie de son succès à l’usage qu’en a fait un fabricant de cigarettes qui souhaitait faire parler de lui alors qu’il n’avait plus le droit de dire qu’il avait du bon tabac dans sa tabatière. On incite donc les Occidentaux consommateurs à feindre l’état de nature, à se lancer dans un rallye de survie, et à se mesurer à une jungle imprévue et photogénique, à l’aide d’une technologie réduite mais furieusement à la mode (bonnes chaussures, couteau de chasse et boussole de bijoutier)… Et on appelle ça le Trophy Machin Chose ! Ça vous a un de ces chic !Pourquoi Trophy ? Pourquoi trophée ? Le mot évoque une récompense qui couronne le vainqueur d’une épreuve difficile.
On pense d’abord au trophée de chasse, celui qu’on peut accrocher à un mur ou mettre au pied de son lit : une peau de lion, des bois de cerf, des dents de requin… Ça matérialise donc l’ennemi vaincu dans toute sa force, dans tout ce qu’il avait de menaçant. C’est, à la fois, le signe de la victoire, du risque encouru, et d’une certaine façon la prise de possession symbolique de la virilité de l’autre.
Mais, cette symbolisation archaïque s’auréole d’une certaine esthétique. Le trophée a désigné, à la Renaissance, un motif décoratif formé d’armes disposées autour d’un bouclier. Et le mot, en français, mais dans un contexte antique, a également désigné les dépouilles de l’ennemi, et même la dépouille de l’ennemi : le corps d’Hector tiré par Achille autour des murs de Troie… Quant au tropaion grec, il désignait une sorte de monument constitué d’un empilement des armes des ennemis défaits.
Alors le trophée est-il le butin ? Pas vraiment. Le trophée représente l’ennemi. Alors que le butin est la richesse que la victoire a permis de prendre sur l’ennemi. Et jadis, on parlait même, avec un mot bien oublié aujourd’hui, des dépouilles opimes : à l’origine, la richesse d’un général ennemi qui le général romain s’attribuait après sa victoire.