MAL

Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

La Traviata pour les malentendants et pour les malvoyants ? C’est le projet de l’Opéra de Paris, les 15, 22 et 25 avril, avec tout un système prévu pour que les spectateurs puissent bénéficier au mieux de ce spectacle : casques audio pour ceux qui entendent mal, livret en braille pour ceux qui voient mal, etc.

C’est ici le préfixe « mal » qui nous intéresse, et on voit bien que dans ces emplois, il est utilisé comme un euphémisme. Les malvoyants et les malentendants sont des gens qui souffrent d’une déficience de la vue ou de l’ouïe, sans pour autant être totalement sourds ou aveugles. Et dans le recours à ces mots, on sent la volonté de ne pas blesser, de ménager les susceptibilités. « Mal », dans ce cas, signifie « partiellement », à moitié…
Ce genre d’usage est, en fait, assez rare : on trouve « malnutrition », mot plutôt technique, qui n’a pas un caractère d’euphémisme, mais désigne un état grave, mais moins que la famine complète... « Mal-aimé », sur un tout autre plan, est peut-être un autre exemple de cette nuance.

« Mal », au départ, un adverbe qui est le contraire de bien, signifie souvent que le résultat d’une action ou d’un état est fâcheux ; je suis mal assis. Ou qu’une chose n’a pas été faite correctement : je suis mal rasé, je suis mal habillé (sans soin, sans goût…). Et chaque fois, bien que le sens de l’expression soit négatif, on reste à une étape intermédiaire… dans la langue familière, par exemple, « être mal fichu », (« mal foutu »…), c’est ne pas être en forme… mais sans être tout à fait malade.

Cet adverbe sert souvent aussi de préfixe, plus ou moins libre, dans des expressions qui pointent un manque d’éducation : « mal élevé », « malpoli », « malappris », « mal dégrossi », « malpropre » : on voit que tantôt, on a affaire à des locutions : « mal + nom ». Tantôt la soudure s’est faite, et on a un seul mot..

« Mal » sert souvent à former des mots négatifs par simple adjonction à un adjectif : « maladroit » est le contraire d’adroit ; « malhonnête/honnête » ; « malchanceux/chanceux ». « malheureux/heureux ». Mais là, attention : on a aussi le symétrique exact de malheureux, qui est bienheureux… Symétrique exact pour la forme, mais pas pour le sens, car bienheureux a une signification spéciale (un saint promis au Paradis… ?)
La symétrie peut être parfois complète : on a des couples qui opposent « mal -» à « bien -» « malveillant/bienveillant ».