TRANSFERT
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras
Le transfert de pouvoir des Américains aux Irakiens s’est effectué cette semaine à Bagdad. De transfert, on parle donc abondamment. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que depuis la chute de Saddam Hussein, le pouvoir était entre les mains des Américains, qui avaient nommé Paul Bremmer administrateur civil, et que le pouvoir provisoire a été remis d’autres personnalités, irakiennes. Mot assez particulier et très politique qui donne l’idée que ce pouvoir a glissé « en douceur » d’une équipe à une autre. Mot qui accentue l’idée qu’à part ce glissement, rien n’a changé, que ce fameux pouvoir est absolument le même, à cette différence près que ceux qui l’exercent sont différents. Transfert de pouvoir s’oppose donc bien sûr à prise de pouvoir ou à abandon de pouvoir… Mais il y a une idée qui est quand même soulignée : celle de déplacement. Il ne s’agit pas de passation de pouvoir, mot qu’on emploie lorsque au sein d’une même structure il y a une succession : cérémonie de passation de pouvoir d’un président à un autre etc. dans le cas du transfert, l’idée du déplacement est bien indiquée par ce préfixe trans- Transférer a d’ailleurs des cousins germains : le verbe translater, courant en ancien français mais qui n’est plus guère employé. Ou le très commun transporter. Les trois mots sont tout à fait parallèles : même préfixe. Quant aux radicaux verbaux, ils s’échangent facilement : « ferre » veut dire porter en latin, et « translatus » est le participe passé de « transferre ». Transfert et translation ont donc à peu près les mêmes échos.L’autre idée sous-jacente dans ce verbe, c’est que l’objet déplacé ne réagit nullement à ce déplacement qu’on lui impose. On l’a souligné pour le pouvoir irakien, censé rester identique. Et on retrouve cette même idée dans d’autres emplois du mot transfert. On parle notamment de transfert de prisonniers d’une prison à l’autre, de leur cellule au Palais de Justice etc. Tout cela s’effectue évidemment sans que l’on demande leur avis aux détenus.
Le mot transfert s’emploie aussi fréquemment en sport, en football en particulier, quand on transfère un joueur d’un club à un autre : peut-être y gagne-t-il des fortunes, mais tout se dit comme si lui n’avait pas son mot à dire, comme s’il était une marchandise, une force de travail, une machine à gagner qui se négociait de club à club.
Enfin le mot transfert, dans un sens très spécifique et très différent a connu une grande fortune dans le vocabulaire psychologique et psychanalytique, le transfert représentant un déplacement de sentiments sur le thérapeute dans le cours de la cure.