CLOCHE

Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

L’Espagne et le Portugal ont un différend à propos de la cloche de la Santa Maria. La cloche fameuse a été retrouvée il y a dix ans dans l'épave d’un galion espagnol, mais au large des côtes portugaises. Forcément, ça fait débat… mais s’empailler pour une cloche, je vous demande un peu ! Et au fait, qu’est-ce que c’est qu’une cloche ?

C’est un objet métallique, en gros en forme de chapeau. Frappez-le, il rendra quelque bruit, comme disait Descartes. Cette cloche sonne donc et résonne, car elle fait caisse de résonance. Et plusieurs verbes existent pour désigner cette vibration sonore : elle tinte ou retentit… deux verbes voisins, dont on voit bien qu’il procède d’une logique d’onomatopée : ils expriment un bruit, et pour cela, font entendre un bruit…

La cloche est donc un objet qui sert à manifester un signal, un signal collectif de rassemblement, d’appel, d’alarme : la cloche du repas (sur un bateau justement), la cloche de la messe, la cloche de l’incendie, le tocsin qui sonne quand l’ennemi arrive… Cette cloche est donc apparemment un facteur de cohésion sociale, un média à l’ancienne dont toute une communauté connaît le code : A la soupe ! Aux abris ! Au secours !…

La cloche délivre un message ce qui permet de comprendre par exemple l’expression un son de cloche… un autre son de cloche, c’est à dire la façon de rapporter un événement, de l’interpréter.
Et comme la cloche est un objet de métal (de fonte en général), l’image de la cloche de bois est celle de ce qui se fait silencieusement, en douce, en cachette… Déménager à la cloche de bois, c’est le faire en catimini, en se cachant du propriétaire, parce qu’on n’a pas payé son terme.

Elle représente donc ce qui permet à la communauté de fonctionner en tant que telle.
Comment expliquer alors que cloche soit à de significations inverses, que le verbe clocher veuille justement dire « ne pas fonctionner » ?
C’est que le verbe clocher justement ne procède pas au départ du nom cloche, même si l’imaginaire linguistique l’y rattache pour une question d’homonymie, de proximité sonore. Clocher dérive du latin cloppus ou du verbe cloppicare, déformation de claudicare, qui veut dire boiter. Et l’expression « à cloche pied » se comprend parfaitement par rapport à cette étymologie.

Difficile, pour une famille de mots d’être ainsi l’héritière de deux significations opposées. Mais la jonction a pu se faire grâce à une ancienne image. La cloche, par sa forme, est souvent assimilée à la tête (Cf se faire sonner les cloches = se faire réprimander… en prendre plein la tête…). Et l’image de la cloche fêlée représente depuis longtemps la tête qui ne fonctionne plus très bien : Ilm a la cloche fêlée… il a un petit grain, il tourne pas très rond…… Voilà : on avait trouvé l’astucieux grain de sable qui permettait à l’image de fonctionner dans un sens ou dans l’autre.