CAUSE TOUJOURS...

Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

« Cause toujours… » C’est le titre d’un film de Jeanne Labrune qui vient de sortir en France, et reprend avec, à propos, une expression assez courante, un peu vieillie d’ailleurs… Et dont la formule complète est « Cause toujours, tu m’intéresses… » Phrase ironique qui signifie « Tu peux toujours parler, je ne t’écoute pas… » mais qui signifie surtout « Je ne ferai pas ce que tu veux que je fasse, je ne tiendrai aucun compte de ce que tu me conseilles de faire, ce que tu me demandes de faire… »
« Couvre-toi bien, mon chéri, ne prends pas froid… Fais attention en traversant… Ne parle pas à des inconnus… N’accepte pas de cadeaux de ceux que tu ne connais pas…
- Cause toujours, tu m’intéresses ! »
Phrase familière, bien sûr, et peu aimable.

« Causer » est un vieux mot français dont le sens principal est s’entretenir avec quelqu’un, discuter… Le mot est, bien sûr, relié au mot cause, qu’il faut comprendre dans son sens juridique : une cause est un procès. Causari, en latin, signifie plaider. Et, en ancien français, causer signifie faire comparaître quelqu’un en justice, plaider, et par extension, raisonner, expliquer.
Ce sens est totalement oublié du français moderne, qui utilise ce verbe dans le sens général de discuter. Le mot était plus utilisé jadis. Il est plutôt en perte de vitesse, mais encore bien présent dans la langue d’aujourd’hui. « Asseyons-nous et causons, comme dit Monseigneur le Cardinal… » est une phrase bien significative du style d’Alexandre Dumas…
Mais au XXème siècle, le verbe a acquis une réputation un peu peuple. On le disait vulgaire. Et surtout, on ne se privait pas de montrer du doigt une tournure incorrecte, et très courante : causer à quelqu’un… sur le modèle de parler à quelqu’un… Or, il faut dire « causer avec quelqu’un »... L’expression « causer à quelqu’un » est donc devenue symbole de la faute de français populaire, faite par celui qui n’a pas assez fréquenté l’école (« Je t’ai pas causé à toi… » « Eh, là, on vous cause quand même ! ». « Je lui cause plus à lui : c’est plus mon copain ! »
D’ailleurs, ce mot de causer est souvent associé à un bavardage excessif. On n’est pas loin du « parler pour ne rien dire… » et on frôle le caquetage incessant… « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire… »

Deux substantifs en sont issus, eux aussi, un peu vieillots : « causette » (un brin de causette, c’est-à-dire quelques mots échangés ; une conversation banale, imprévue, spontanée…)
Et « causerie », peu usité également qui évoque une conversation familière, à l’ancienne. Souvenons-nous des causeries au coin du feu dont Pierre Mendès-France avait fait un instrument de communication politique.