REMUNERATION
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras
Doit-on « rémunérer » les comptes chèques ? Une banque espagnole l’a proposé, en France. La réglementation française s’y opposait, et ce n’était pas l’habitude. Mais un premier arbitrage européen a tranché en faveur d’une possible « rémunération »… alors… !Alors, on peut se demander de quoi il s’agit lorsqu’on parle de « rémunération » de compte chèques. Le compte chèques, pas de problème : c’est ce qu’on appelle également le compte courant, c’est-à-dire la réserve d’argent de base qu’on a pu déposer dans une banque, alimentée souvent par un salaire qui y est versé directement, ponctionnée automatiquement par les prélèvements qui peuvent régler vos impôts ou votre électricité, somme courante donc sur laquelle on vit quotidiennement… Il ne s’agit pas d’argent « placé », c’est-à-dire plus ou moins bloqué, et dont on espère qu’il va rapporter, qu’il va « travailler »…
Si l’on « rémunère » les comptes chèques, cela signifie que cet argent va rapporter, selon un certain pourcentage appliqué au jour le jour au montant qui est à la banque à votre nom. Aussi petite que soit la somme, aussi volatile qu’en soit le montant, cet argent sera donc placé. La banque, qui tire bénéfice du bien qu’on lui confie, et qu’elle gère à son profit, « rémunèrera » le client…
Alors, est-ce le client qui est « rémunéré » ? Ou le compte chèques ? L’emploi de ce mot un peu compliqué s’applique aussi bien à l’un qu’à l’autre. « Rémunérer » veut dire, au départ, donner de l’argent, ou quelque gratification que ce soit, en échange d’un travail ou d’un service. C’est donc, a priori, une personne qui peut l’être. Mais, par glissement d’emploi, on parle de travail « rémunéré » – comme on parle de travail payé – opposé à travail bénévole, gratuit, etc. C’est pourtant bien le travailleur qui est payé, pas le travail… et, malgré tout, l’usage reste flottant et parfaitement correct : on dit aussi bien « ces heures ne m’ont pas été réglées » que « je n’ai pas été réglé pour ces heures… »
Quant au mot « rémunérer », lui-même, il n’est pas si simple. Pour sa prononciation d’abord : souvent on entend l’erreur « rénuméré », qui s’explique par une confusion avec le radical numéro, qui évoque un chiffre, donc facilement une somme… mais c’est une fausse piste.
L’étymologie du mot est tout ce qu’il y a de latin. Le préfixe re- donne l’idée de ce qui est donné en échange, en retour… En échange de quoi ? D’un « munus », c’est-à-dire au départ d’un service, d’un office, d’une fonction, d’une charge. Et déjà, en latin, le mot avait glissé pour désigner le salaire qui payait cette charge.