DÉGÉNÉRÉ

Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

« Entartete musik »… musique « dégénérée »… C’est ainsi que les Nazis, entre 1933 et 1945, appelaient toute musique qui ne correspondait pas aux normes de l’art officiel.

Que signifie ce mot savant et un peu louche ? L’un de ses sens est : « qui a perdu les qualités habituelles de son genre, de sa race ». Et voilà qu’on l’a déjà, ce mot suspect de race… Suspect quand il est appliqué aux humains, mais fondateur dans l’idéologie nazie. Et, en effet, il est facile, dans un système d’idées qui établit une hiérarchie, un classement entre les races, de prétendre que telle forme d’expression ne correspond pas à la pureté de la race supérieure. Et c’est bien ça l’idée de l’art dégénéré. Prétendre que ces formes d’expression correspondent à une certaine décadence, à une évolution de l’homme et de la culture qui, prétendument, dépérit, s’affaiblit, au lieu d’aller vers cette simplicité dominatrice et triomphante qui représente l’idéal aryen des nazis. Ils appelaient donc « art dégénéré » la musique des années 30, qui allait de la musique atonale au jazz… ou la peinture non figurative, et les premiers chemins de l’abstraction etc.

Cette idée de dégénérescence, on la retrouve dans d’autres mots qui évoquent une déperdition de force, de génération en génération : abâtardissement, par exemple. Et les mêmes idées sont à l’œuvre : on perd sa force (et, par conséquent, souvent son honneur) car on n’a pas réussi à préserver une certaine pureté. Le mariage, l’union qui précède la génération ne s’est pas fait entre deux éléments équivalents. Et on considère donc que le produit de cette union sera inférieur aux éléments qui l’ont créé. C’est cette logique très irrationnelle qui, souvent, est à la base de certaines théories racistes…

En même temps, le mot « dégénéré », toujours très péjoratif, renvoie aussi à l’idée des conséquences néfastes des mariages consanguins, entre frère et sœur ou cousins proches, et qui sont susceptibles de provoquer des anomalies génétiques. Fin de race, dit-on aussi, souvent à propos de familles aristocratiques, considérées à la fois comme très (trop…) raffinées et perdues dans une culture qui s’étiole.

Cela dit, le verbe « dégénérer » est souvent employé dans un sens figuré nettement plus vague : « dégénérer », c’est tourner mal, ou plus simplement prendre une tournure relâchée… La dispute a dégénéré en bagarre… Il ne faudrait pas que ces plaisanteries dégénèrent, c’est-à-dire qu’elles deviennent vulgaires, grossières, blessantes…