BAVURE

Par: Yvan Amar

La libération sanglante de Juliana Sgrena a marqué le week-end… Et, avant même de savoir ce qui s’était exactement passé, tout le monde a parlé de la bavure américaine… Bavure… c’est le moins qu’on puisse dire… Le mot, dans ce sens, apparaît après guerre, vers 1950, mais il s’est surtout répandu à partir des années 80. Et le film où jouait Coluche, Inspecteur La Bavure, même s’il était un peu grossier, a beaucoup fait pour accréditer l’expression… Pour désigner une erreur grave, souvent tragique, effectuée par des services de la police ou de l’armée… en tout cas par des forces de l’ordre, qui ont les moyens d’exercer leur pouvoir.

Alors, on voit bien que le mot est ce qu’on appelle un « euphémisme »… qui en dit le moins possible pour minimiser une réalité…
Et ce mot, au départ, porte le point de vue des forces qui sont en faute… Elles reconnaissent leur faute… Avec embarras… Ou plutôt, il s’agit de reconnaître son erreur, plutôt que sa faute… Parler d’une bavure ce n’est pas se déclarer coupable, c’est reconnaître qu’on a fait une erreur d’appréciation.

L’image est, d’ailleurs, très parlante… Qu’est-ce que c’est qu’une bavure ? Le fait de baver… Mais aussi, et c’est déjà au figuré, le fait de colorier au-delà du trait… C’est un mot de peintre… La peinture a un peu dégouliné… Elle a dépassé la limite… L’image renvoie, donc, a une idée de « tolérance » qui a été mal gérée… : Comme si on pouvait se permettre certaines choses, certaines privautés, certaines rudesses… mais pas trop… Et la bavure… c’est d’aller un peu trop loin dans ce qui n’était pas permis, pas officiel… mais qui était une pratique admise… Alors, on peut parler de bavure, lorsque la victime est plus fragile qu’on pensait… On malmène un cardiaque… Un infarctus ? C’est la bavure !

Ou plus souvent encore, quand on se permet une privauté… avec la mauvaise personne… Un questionnement un peu brutal, un tutoiement… avec quelqu’un qui se révèle être…. un président de Tribunal… un membre du personnel diplomatique… C’est la bavure… Ou bien … on tire sur une voiture anonyme… et c’est celle de l’otage libérée… En admettant que ça se soit passé comme ça… !