FIL ROUGE

Par: Yvan Amar

Une image très à la mode. Et qui se répand. Mais ne figure pas dans le dictionnaire des expressions et locutions de Rey et Chantreau de 1985. Alors qu’il y figurerait certainement si ce même dictionnaire paraissait aujourd’hui.

Le sens est clair : le fil rouge désigne une thématique qui assure une cohérence… donc une idée directrice. Si l’on prend, pour exemple, Les crimes de l’accordéon d’Annie Proulx, excellent ouvrage récemment paru et traduit, qui retrace plus ou moins l’histoire de l’immigration en Amérique, l’histoire des communautés qui ont constitué cette nation, on a un bon fil rouge : Un accordéon, amené aux Etats-Unis, puis vendu, prêté, volé, racheté, qui passe des Italiens aux Polonais. C’est, en fait, ce qui donne une cohérence à l’ensemble, qui autorise des contextes, des époques, des périodes très différentes… alors qu’on se sent toujours dans le même livre. Ou un animateur qui, dans une soirée, entre les interventions, les divertissements, les discours officiels, rappelle pourquoi on est là… assure le fil rouge de la manifestation.

Pourquoi « fil rouge » ? Il semble qu’il faille chercher l’origine de l’expression chez Goethe, dans l’une des œuvres les plus célèbres du grand poète allemand, « Les affinités électives ». Pour nous assurer de la cohérence du journal d’Ottile, l’une de ses héroïnes, voici ce qu’il nous dit : « Tous les cordages de la flotte royale, écrit-il, du plus fort au plus faible, sont tressés de telle sorte qu'un fil rouge les parcourt tout entiers et qu'on ne peut l'en extraire, sans que l'ensemble se défasse, et le plus petit fragment permet encore de reconnaître qu'ils appartiennent à la couronne ».

Dans les années 60, « le fil rouge » était le nom d’une collection de livres psychanalytiques… Il y a une certaine logique là dedans : en tirant un fil… celui du discours, celui de l’inconscient… on arrive à un sens caché… on découvre… L’image en rappelle une autre, bien sûr, le fil d’Ariane…, qui nous vient de la mythologie grecque. Thésée accepte de se lancer, et peut-être de se perdre dans le labyrinthe au fond duquel se cache le monstre Minotaure… à condition de dérouler derrière lui un fil, dont l’extrémité est tenue par Ariane, qui l’attend (et l’aime… sans ça, ça ne marcherait pas) à la sortie. Ainsi, avec cette ruse de Petit Poucet, pourra-t-il remonter vers l’air libre et la liberté… Ainsi, peut-il se risquer dans le dédale…

Le fil est, de toutes façons, un mot qui évoque la continuité… Suivre le fil d’un récit, c’est tenir la rampe, comprendre l’enchaînement, progresser d’une aventure à une autre, sans rupture. Et même des expressions comme « au fil des ans »… renvoie à cette idée de succession à la fois inéluctable et ininterrompue. En revanche, perdre le fil… c’est ne plus comprendre, se perdre parce qu’on a sauté une étape…