TOUCHE PAS… !
Par: Yvan Amar
« Touche pas à mon jour férié ». C’est le slogan qu’on a pu entendre dans le cadre de l’un des défilés qui ont marqué le 1er mai, jour, on le sait, propice à ce qu’on défile… Et il s’agit, bien sûr, de protester contre la transformation d’un jour férié en jour travaillé… la Pentecôte en l’occurrence… On n’en est pas là… on aura à en reparler… Mais, intéressons-nous d’abord au slogan !Touche pas à mon jour férié… c’est-à-dire… ne le supprimez pas, ne lui faites pas de mal…
On peut remarquer le caractère familier de la formule. Tutoiement, absence de la négation… Un peu régressif aussi et un peu enfantin… on le voit avec l’emploi du possessif « mon »… Et puis ce touche pas qui se rétrécit sur sa possession.
Mais on l’a bien compris : on a une formule… qu’on peut utiliser, adapter, modifier au gré de ses humeurs… Il suffit de voir d’où elle vient : que détourne-t-on quand on dit « touche pas à… »
Souvenons-nous d’abord d’une grande campagne civique, dont le slogan était « Touche pas à mon pote »… Elle date des années 80, marquée en France par la montée de l’extrême droite, une certaine banalisation du racisme et de la xénophobie… On a donc distribué en masse de petites épinglettes munies d’une main qui semble dire non, s’opposer : « touche pas à mon pote ! » Phrase de solidarité et d’entraide… qui signe la remotivation d’un mot argotique, « pote », en vogue dans les années 50, et qu’une certaine mode rétro a remis au goût du jour. Mon pote, poteau, mon camarade.
Le slogan a eu un succès fou et depuis, on l’a vu détourné de toutes les manières, notamment dans des situations où l’on craint de se voir reprendre ce que l’on a acquis… « Touche pas à mes 35 heures », « touche pas à mon IVG » «, « touche pas à ma Sécu ! »… Le mot d’ordre on le voit, est très social. C’est souvent la peur de voir repris ce qui a été emporté de haute lutte. Le verbe toucher, d’ailleurs, évoque plusieurs choses… qu’on vous vole quelque chose, qu’on l’abîme, qu’on le fasse s’effriter… « touche pas » c’est une précaution qu’on prend… Si on ne touche pas… les biens sont en sécurité… Toucher c’est toujours dangereux… Et on retrouve les mêmes craintes dans d’autres expressions familières… qui inversent parfois les mots : « Pas touche ! »… ou même « Bas les pattes !
Avant « Touche pas à mon pote ! » ; on se souvient d’ailleurs d’autres exemples plus ou moins célèbres : « Touchez pas au grisbi », roman policier d’Albert Simonin qui date du début des années 50, a été suivi d’un film à succès, et est tout à fait représentatif de tout un courant d’écriture en langue verte, dans « l’argot des vrais de vrais », qui se gargarisait un peu de son authenticité et se donnait pour le vrai langage de la pègre…
Mais on a eu aussi, plus tard, « Touche pas à la femme blanche », film de 1973, avec Marcello Mastroianni, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi, qui montre bien que « toucher » a souvent un sens sexuel… Qu’on retrouve… bien auparavant, dans l’Evangile de Saint-Jean : Noli me tangere « Ne me touche pas », dit Jésus à Marie-Madeleine…