JEUNE FILLE

Par: Yvan Amar

Encore un incendie, encore un drame… Dix-sept morts à l’Haÿ les Roses… et on découvre que les incendiaires sont quatre jeunes filles qui ont agi sans réfléchir, sans même penser que leur acte pourrait avoir de tragiques conséquences, pour régler un différend avec une cinquième jeune fille. Que de jeunes filles donc ! Car c’est bien l’expression qui a été unanimement employée par les médias… : des jeunes filles que ces adolescentes qui ont entre 15 et 18 ans !

Le mot est intéressant … j’ai bien dit le mot… et non les deux mots… Car l’expression fonctionne comme un mot composé, comme un seul mot en deux… L’adjectif « jeune » n’est plus qu’une composante du mot dans son entier.

Alors qu’est-ce donc qu’une « jeune fille » ? Une adolescente, en gros. Mais voilà, ce mot d’adolescent est plus récent, plus contemporain, à la fois plus dans l’air du temps et… presque plus médical. En tout cas plus psychologique. Alors que cette expression de « jeune fille » date de bien avant la psychologie… Enfin… on en faisait sans qu’on en parle ; on parlait plutôt du secret des cœurs… On s’intéressait, comme le fit Musset : A quoi rêvent les jeunes filles ?… Ce qui donne un côté un peu désuet, un peu à l’ancienne à l’expression… Mais, en même temps, on s’en aperçoit bien peu : elle est encore si courante…

Et elle est réservée à certains emplois… A la radio, dans les journaux, on dit « jeunes filles »… Dans la conversation, on aurait dit probablement « des filles ». Mais voilà, le mot « fille » est encore un peu tabou… souvent entaché de morale… La fille, c’est facilement la fille de mauvaise vie, la fille facile, la fille de joie… Attention, le mot n’est pas systématiquement tabou… S’il s’agit d’un enfant, ou simplement de filiation, il s’utilise sans problèmes : j’ai deux garçons et trois filles.

Mais, quand il s’agit d’une adolescente, les choses ne sont pas si simples… Et justement cet adjectif « jeune » est censé tranquilliser sur les mœurs de la demoiselle… et sur les intentions de celui qui la nomme ainsi…
Le mot « jeune fille » est même parfois plus ou moins associé à la virginité… Une vraie jeune fille… En tout cas à la pureté, à la candeur, toutes ces qualités de respectabilité qu’on associait traditionnellement aux jeunes filles. Et qui donnait des locutions comme « jeune fille au pair » (celle qui vit dans une famille et s’occupe des enfants… sans avoir véritablement une position de domestique… Car elle vient d’une bonne famille…)
Et tout cela, à une époque où l’on ne pensait pas que le destin d’une jeune fille fût autre chose que le mariage.
La jeune fille est, donc, en fait la jeune fille en âge… ou presque en âge d’être mariée… (en âge d’y penser, en tout cas), mais ne l’est pas encore… L’âge des possibles donc… alors qu’après… tout ça prend sa source dans le XIXème siècle qui permet beaucoup moins de choses aux hommes qu’aux femmes… Mais, c’est cette histoire idéologique qui nous fait comprendre qu’on parle du « nom de jeune fille » pour désigner le nom de naissance de celle qui en a changé en se mariant…